En Allemagne, peut-on encore insulter les Juifs en toute impunité ? Michèle Mazel

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Drôle de question, direz-vous.

 

À l’heure où on a inventé la notion de « microagression » et où littérature et filmographie sont passées au crible du « wokisme » pour s’assurer qu’elles ne sont pas entachés du moindre relent de racisme ; à l’heure où l’on déboulonne les statues de personnages révérés depuis des siècles, tel Christophe Colomb « coupable » d’avoir ouvert le continent américain aux colonisateurs – et où les héros d’antan sont voués aux gémonies, on aurait pu penser que toute minorité peut faire entendre sa voix et obtenir réparation d’un préjudice aussi antique qu’évident.

 

On aurait tort.

Ce qui est permis aux uns ne l’est pas toujours aux autres. Surtout quand il s’agit de Juifs. Tenez, prenez le cas de l’église de la ville de Wittenberg en Allemagne. Située sur la rive de la rivière Elbe au sud-est de Berlin, la cité remonte au Douzième siècle ; trois siècles plus tard, une université voit le jour.

En 1817, elle prend le nom de Martin Luther, le plus illustre des professeurs qui y ont dispensé leur savoir. Fondateur du mouvement réformiste qui porte son nom, Martin Luther avait coutume de fréquenter l’église de la ville. Il appréciait, dit-on, particulièrement un bas-relief sculpté d’une insoutenable violence antisémite.

Essayons de lire ce qu’il en disait en 1543 dans le plus antisémite de ses ouvrages, Vom Schem Hamphoras[i],  où les Juifs sont comparés au diable et décrits de la façon la plus abominable. Âmes sensibles s’abstenir :

« Ici, sur notre église de Wittenberg, une truie est sculptée dans la pierre. De jeunes cochons et juifs sont allongés sous elle. Derrière la truie, un rabbin est penché sur la truie, soulevant sa jambe droite, tenant sa queue haute et regardant intensément sous sa queue et dans son Talmud, comme s’il lisait quelque chose d’aigu ou d’extraordinaire, ce qui est certainement là qu’ils obtiennent leurs Shemhamphoras. »

Colmar, Collégiale Saint-Martin, etc.

 Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et la chute du nazisme, la communauté juive d’Allemagne n’a pas ménagé ses efforts pour faire retirer cette ignominie du fronton de l’église.

Son long combat juridique n’a hélas pas abouti.

La plus haute cour de la province vient de le rejeter au motif que le bas-relief ne violait pas la loi.

Argument supplémentaire : l’église de Wittenberg, pour preuve de bonne foi, a fait établir et installer sous ce relief une plaque de bronze à la mémoire des six millions de Juifs qui ont péri dans la Shoah ainsi qu’un placard explicatif. Ainsi donc, pour ce jugement, qui confirme celui des instances inférieures, il y aurait là à la fois une prise de responsabilité et une tentative de redresser les torts du passé.

Pas question donc de toucher au bas-relief. Il continuera à accueillir les visiteurs, à susciter la curiosité et le dégoût des enfants et à entretenir le vieux fond d’antisémitisme allemand. Qui peut croire que des mots peuvent atténuer la violence de cette obscénité gravée dans la pierre depuis sept siècles ?

© Michèle Mazel

Michèle Mazel est diplômée de Sciences-Po et licenciée en Droit, et a été boursière Fullbright en science politique. Pendant plus de trente ans, elle a accompagné de par le monde son mari, le diplomate Zvi Mazel, qui fut notamment ambassadeur d’Israël en Egypte, en Roumanie et en Suède. Elle en a tiré la matière de nombreux ouvrages – thrillers et romans. Elle contribue régulièrement à plusieurs organes de presse.

[i] Hashem Hamefourash, terme utilisé dans la religion juive pour désigner le nom ineffable de la divinité

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