Le 5 juin 2022, le navire Energean Power (sous contrat israélien) chargé d’exploiter le champ gazier Karich (à la frontière maritime entre Israël et le Liban) est arrivé dans la zone maritime disputée entre les deux pays. Le Président libanais, Michel Aoun, a immédiatement informé Jérusalem de son opposition catégorique au démarrage de l’exploitation, pendant que le Hezbollah menaçait l’Etat juif d’opérations terroristes pour l’en empêcher. Le négociateur américain Amos Hochstein doit se rendre à Beyrouth (le 13 juin 2022) pour tenter de trouver une solution au différend, le Liban contestant, pour l’heure, l’emplacement des frontières maritimes entre les deux pays.
Le problème contemporain est né en 2007, lorsque le Liban et Chypre ont envisagé un accord visant à organiser les frontières maritimes entre les deux pays : cet accord prévoyait la possibilité d’établir une zone maritime entre Israël et le Liban. Ratifié par Nicosie, en 2009, il ne l’a pas été par le Liban. Or, en 2010, L’Etat hébreu a signé un accord de zone économique avec Chypre, reprenant exactement la frontière maritime sud du Liban (figurant dans l’accord « Chypre Liban »), ce qui lui a permis de fixer sa propre frontière maritime nord. Les coordonnées de cette frontière (maritime nord israélienne) ont alors été transmises aux Nations Unies en 2011, permettant à l’Etat juif de délimiter son espace maritime.
A ce jour, le Liban conteste l’emplacement de cette frontière, dont il avait pourtant transmis les coordonnées aux Nations Unies (décret libanais 6433). Pour ce faire, le Liban invoque l’absence de ratification de l’accord « Chypre Liban », et l’empiétement d’Israël sur son espace maritime. Plus précisément, la zone maritime internationale contestée par le Liban est d’une surface de 860 kilomètres carrés. Or, le pays du Cèdre a, également, imaginé d’exploiter le gaz sur cette zone (sur laquelle il invoque sa souveraineté). Pour ce faire, il a signé un accord d’exploration et de production du gaz avec un consortium international comprenant la société française Total, l’italien Eni et le russe Novatek. Les résultats des forages ont permis de conclure qu’une partie de la zone n’était pas exploitable commercialement, mais que rien ne s’y opposait pour la seconde. Total a toutefois refusé d’entamer les opérations de forage tant que le litige entre Israël et le Liban, concernant la frontière maritime entre les deux pays, n’était pas réglé.
Pour sa part, Israël a poursuivi son projet d’exploitation du champ Karich : en juin 2020, l’Etat juif a lancé un troisième appel d’offres offshore pour l’exploration pétrolière et gazière à l’intérieur de la zone (contestée par le Liban) sans que les Etats Unis ne parviennent à négocier un accord entre les deux pays. Ainsi, et sur un plan strictement théorique, Israël est, bien évidemment, en droit d’entreprendre les opérations de forage sur cette zone, dans la mesure où il n’a fait que reprendre la frontière que le Liban avait admise en 2007. Les coordonnées de cette frontière ont d’ailleurs été communiquées par le Liban aux Nations Unies en 2011 (décret 6433).
Le médiateur américain Frédéric Hof, (qui a tenté de rapprocher les parties entre 2010 et 2012), avait également confirmé la validité des lignes de délimitation entre Israël et le Liban. Pour tenter de résoudre le différend, il avait alors proposé au Premier ministre libanais Mikati, de partager la zone contestée dans les proportions suivantes : 55 % pour le Liban et 45 % pour Israël. Une fin de non recevoir lui a alors été opposé par les deux partie. Toujours est il qu’à ce jour, faute pour le Liban d’avoir modifié les lignes de délimitation, Israël est bien dans son droit d’engager l’exploitation du site Karich, et d’y installer l’unité flottante de production, de stockage et de déchargement (FPSO) d’Energean.
Rappelons d’ailleurs qu’en 2020, le Président libanais avait annoncé l’engagement de négociations indirectes entre Israël et le Liban, et reconnu qu’elles l’étaient sur la base des frontières initialement admises, tout en estimant qu’elles devaient être modifiées. Le gouvernement libanais avait alors envisagé d’amender le décret 6433 au cours de l’été 2020, sans y parvenir, compte tenu de sa démission consécutive à l’explosion du port de Beyrouth (4 août 2020). Finalement, le Président Aoun a, une nouvelle fois (en septembre 2021), confirmé que la frontière maritime initiale était bien la bonne. En février 2022, le négociateur américain s’est rendu à Beyrouth, suggérant une reprise des négociations sur cette ligne, sans réponse côté libanais, de peur de froisser et de perdre le soutien américain (sur d’autres dossiers).
La solution pourrait finalement venir des Emirats Arabes Unis (qui ont noué des relations diplomatiques avec Israël le 15 septembre 2019) : il est envisagé une autorisation de forer le gaz dans la zone contestée. C’est du moins ce qu’a laissé entendre Amos Hochstein en décembre 2021 (le sous-secrétaire d’Etat américain, David Satterfield avait également évoqué cette occurrence, en 2019, imaginant la création d’un fonds fiduciaire mutuel entre Israël et le Liban sous la supervision de l’ONU, proposition rejetée par le Liban).
Les Émirats Arabes Unis entendent s’impliquer dans le commerce du pétrole et du gaz, via Israël. Dans ce cadre, le troisième producteur de pétrole de l’OPEP a signé des accords commerciaux et maritimes avec Israël, la société DP de Dubaï s’est porté candidate pour acquérir le port de Haïfa (géré par une société chinoise) et la société israélienne de pipelines EAPC a signé (en octobre 2021) un accord pour transporter le pétrole émirats vers l’Europe (au moyen d’un pipeline entre Eilat et le port d’Ashkelon). Par ailleurs, les EAU sont devenus observateur au sein du Forum méditerranéen du gaz (EMGF), en décembre 2021, et les rencontres entre responsables israéliens, émiratis et des représentants du groupe ADNOC ne cessent de se multiplier.
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Le Liban pourrait ne pas être hostile à l’intervention des EAU en qualité d’interface entre les pays ennemis. Un responsable libanais (qui mène des pourparlers indirects) a, en effet, admis que le groupe émiratis ADNOC pourrait intervenir dans l’exploration offshore du champ gazier revendiqué par Israël et le Liban.
Israël a largement développé son industrie gazière, depuis la découverte de gisements offshore, en 2004. Or, compte tenu de l’embargo sur le gaz russe, Israël pourrait devenir un fournisseur important pour l’Europe. Il est donc également urgent, pour Israël, de régler son différend avec le Liban. En effet, la Ministre israélienne de l’Énergie, Karine Elharrar, a indiqué que le champ gazier de Karish, pourrait lui permettre de doubler sa production de gaz naturel (à 40 milliards de mètres cubes) pour répondre aux besoins européens.
Autre intérêt pour Israël : le rapprochement avec le Liban serait un prélude à une normalisation entre les deux pays, même si les EAU redoutent que de tels accords profitent indirectement à l’Iran (dont le Liban est devenu vassal). Un accord entre Israël et le Liban sur les frontières devrait donc intervenir de façon imminente, avant de pouvoir avancer les discussions sur la répartition des revenus du gaz.
Bien évidemment, pour le Liban, la signature d’un tel accord est existentiel : le pays est frappé par une crise économique sans précédent. Les revenus gaziers amélioreront alors considérablement le niveau de vie de la population.
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