Le meurtre de Sarah Halimi : la Loi…Les  Lois ! Par Jean-Marc Alcalay

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Je me souviens…

     J’ai travaillé pendant près de quarante ans dans un service de psychiatrie. J’étais psychologue clinicien et comme beaucoup de collègues de ma génération, formé à la psychanalyse qui a toujours été ma référence dans ma pratique clinique.

     L’horrible meurtre de Sarah Halimi était sinon prémédité, du moins pré-exprimé par Kolibi Traoré. Derrière la porte où avait lieu ce crime, il y avait des  policiers passifs et un voisinage sans doute peu étonné !

      Ce meurtre m’a évoqué mais en moins dramatique, car il n’y a pas eu homicide, un patient que nous hospitalisions souvent dans mon service. Il était maghrébin, fumeur aussi de cannabis et d’autres substances et sujet ou objet, comme on veut, à des décompensations d’allures psychotiques. Je ne sais plus s’il avait été diagnostiqué de schizophrène qui est de toute façon une forme de psychose. Dans les deux cas et pour faire court, la psychose et ses formes particulières sont un conflit entre le moi et la réalité. Celle-ci est perçue de façon déformée, voire délirante…Je sais par ailleurs qu’il existe des psychoses cannabiques, des décompensations qui ont lieu après des prises massives de cannabis. Ce sont ces consommations qui déclenchent la bouffée délirante sur une structure psychotique, voire aussi névrotique.  L’inverse est aussi vrai : des psychotiques peuvent être attirés par des drogues dures car ils ont peu de limites et pensent ainsi se remplir d’un vide psychique abyssal que vient combler le délire hallucinatoire…

     Comme pour Kobili Traoré, l’assassin de Sarah Halimi, le thème principal de la psychose de ce patient que j’évoque, avait un caractère antisémite. Je dis « était » mais il doit l’être encore, mais ne travaillant plus, j’en parle au passé). Il s’en prenait à la synagogue de la ville, tentait plusieurs fois de l’incendier alors qu’une famille vivait à l’étage, mais peu importait, badigeonnait la porte d’excréments et jetait des pierres dans les vitres…La police le connaissait et l’envoyait directement dans notre service où après quelques jours, voire quelques heures, il allait mieux, jusqu’à nous dire qu’après de tels actes, il avait peur d’aller en prison, comme quoi, l’absence de discernement dans ce cas-là n’était pas certaine. La conscience n’était donc pas totalement altérée. Sa mère était désespérée, ne comprenait pas son fils. Libéré et sous traitement, le patient récidivait quelques temps après : mêmes actes « délirants », même caractère antisémite…Il s’attaquait toujours principalement à la synagogue de la ville mais dans son « absence de discernement de la réalité » il prenait pourtant soin d’épargner de ses tentatives d’incendie, de ses excréments et de ses jets de pierres, l’officine qui jouxte la synagogue et dont la vitrine est d’une belle surface pour tenter un jouisseur de verres cassés, ce que ce patient n’était pas. Son « délire » ne s’adressait donc qu’aux biens juifs et aux Juifs, pourquoi pas. De même que l’assassin de Sarah Halimi qui a épargné dans son « délire » ses parents, ses voisins… comme quoi son jugement n’était pas totalement altéré comme l’a dit Daniel Zagury le premier expert  mandaté par la juge. Celle-ci en a d’ailleurs cherché d’autres dont le diagnostic convenait mieux à son idéologie. Comme pour l’assassin de Sarah Halimi, pas de jugement pour le patient dont je vous parle…Et pourtant.

La Loi… Les Lois !

     Dans de tels cas, J’ai toujours prôné auprès de mes collègues psychiatres et infirmiers qu’un procès était nécessaire qui plus est quand il y a meurtre. Lacan écrivait qu’il y a trois types de rapports à la Loi. La loi réelle, c’est celle dont un individu participe quand il décide de son seul chef qui peut vivre et qui doit mourir. C’est la loi des délinquants, des criminels, des pervers qui érigent la Loi en meurtre comme le faisaient par exemple les nazis. La loi réelle supplante la Loi symbolique, héritière surmoïque du complexe d’Œdipe qui elle, justement, interdit le meurtre. Ce fameux commandement «  tu ne tueras point » qui avec l’interdit de l’inceste et l’interdit de l’anthropophagie, sont les trois piliers à partir desquels, selon Freud, s’édifie la civilisation. Ainsi, le Réel, c’est le passage à l’acte, débarrassé des contraintes civilisationnelles de la Loi symbolique. Il y a enfin la Loi imaginaire, constituée des représentations de ce qui est interdit ou pas et variables selon chacun. Elle dépend donc de ce qui a été intégré de la Loi symbolique lors de l’identification au père, dit aussi père symbolique après l’entrée de l’enfant dans le magma œdipien…Lacan disait que la justice, garante tout de même en partie de la Loi symbolique, donc des interdits, participe davantage de la Loi imaginaire. La justice, écrivait-il encore est comme un plâtre sur une jambe de bois. Elle ne peut pas réparer, et guérir, du moins calfeutrer, suturer mais pas recoudre complètement, ce qui n’a pas été intégré de la Loi symbolique, avec laquelle, les psychotiques, les pervers…ont bien du mal. Le verdict posé par la justice ne serait donc qu’un plâtre, mais un plâtre tout de même, un plâtre qui peut néanmoins poser les limites, de ce qui est permis ou pas, ce qu’un psychotique, libéré de son emprise délirante peut tout à fait entendre et même comprendre. Sinon, en l’absence de tout jugement, aucune limite n’est donnée que celle des médicaments antipsychotiques par exemple et autres soins. Alors oui, pour le meurtrier de Sarah Halimi comme pour ce patient que j’ai évoqué, un procès-plâtre, un pansement quoi !, aurait mieux valu que rien du tout, qu’un « no limit » permettant d’autres actes à venir. Mais pour le meurtre de Sarah Halimi, il y a aussi un autre enjeu. L’absence d’une reconstitution des faits et d’un procès aura non seulement épargné le meurtrier, mais aussi les policiers qui n’ont rien fait pour sauver cette dame qui hurlait sous les coups, les versets du Coran et les « Allahou Akbar » de Kobili Traoré qui lui savait qu’il était en train de tuer une femme juive…

Jean-Marc Alcalay 

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