vendredi 16 avril 2021
SARAH HALIMI : UNE QUESTION TOUT DE MÊME
La chronique de Michèle MAZEL
La décision du 14 avril de la Cour de cassation a mis fin à quatre années de bataille juridique. La cause est donc entendue. Kabili Traoré qui, le 4 avril 2017, a pénétré dans la chambre de sa voisine, paisible retraitée de 65 ans, l’a frappée avec violence en proférant des imprécations et a causé sa mort en la jetant par la fenêtre ne sera pas jugé. Trois experts psychiatriques sont arrivés à la conclusion que, au moment des faits, l’assassin, sans antécédents psychiatriques mais au casier judiciaire lourdement chargé, «était sous l’emprise d’une bouffée délirante aiguë». Que voulez-vous, expliquent les spécialistes, sa capacité de discernement était abolie du fait d’une consommation de cannabis qui allait jusqu’à quinze joints par jour.
Cette absence de discernement entraîne aux yeux de la loi une absence de responsabilité totale. «N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes» dispose l’article 122.1 du code pénal. Inutile de faire remarquer que la prise de cannabis – et en telle quantité ! – est en soit une infraction pénale. «Vous sortez du sujet» vous répondra-t-on. Pourtant, la définition du discernement et à fortiori de son abolition est étonnamment floue. Pour le droit français, l’abolition du discernement, c’est l’incapacité de l’auteur des faits à «comprendre et vouloir» comme le décrivait déjà le droit romain. Traoré n’aurait donc pas eu conscience de ce qu’il faisait alors qu’il s’acharnait sur sa voisine et n’aurait pas voulu la tuer en la jetant par la fenêtre du troisième étage.
Ce qui est troublant c’est qu’il s’en est pris à la seule Juive qui habitait dans cet immeuble HLM de Belleville et qu’il connaissait personnellement de longue date. On voudrait croire au pur hasard, puisque selon la justice il était privé de discernement. Pourtant ce délinquant multirécidiviste pour trafic de stupéfiants, aurait peut-être été radicalisé en prison ; il fréquentait la mosquée salafiste Omar, rue Morand dans le quartier de Belleville ; et y avait passé la journée précédant le meurtre, en tenue islamique traditionnelle. C’est en hurlant Allah Akhbar qu’il s’était acharné sur cette vieille dame sans défense, redoublant de coups en récitant des versets du Coran, avant de la saisir, de la trainer jusqu’à la fenêtre et de la faire basculer dans le vide. Aux agents de police qui l’arrêtaient, il a reconnu les faits en s’exclamant «j’ai tué le Shaitan» – le diable. S’agissait-il alors d’un crime antisémite ? Après avoir fait débat, la question a été tranchée par la négative. Admettre que l’assassin avait ciblé sa voisine parce qu’elle était juive n’aurait peut-être pas cadré avec la théorie d’abolition du discernement.
Traoré échappe donc aux foudres de la justice ; incarcéré dans un hôpital psychiatrique où il n’a pas accès à la drogue, il en sortira sans doute un jour prochain. Son avocat, Maître Thomas Bidnic, s’en félicite : la décision est conforme au droit et la Cour de cassation a «résisté à la démagogie ambiante».
Une révision de l’article 122-1 est actuellement à l’étude ; si elle est adoptée, avoir consommé de la drogue n’entrainerait plus une irresponsabilité pénale.
C est la France de Vichy qui resurgit