Didier Raoult : rencontre avec sa femme Natacha, l’autre docteure

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Publié le 15 février 2021 à 09h41

Didier Raoult : rencontre avec sa femme Natacha, l'autre docteure
Natacha Raoult-Caïn sur le Vieux Port de Marseille, le 29 janvier dernier. © Sandra Mehl

« La folie, je suis née dedans ! » pour la première fois, la psychiatre Natacha Raoult-Caïn ouvre son album personnel et raconte quarante ans de vie commune avec le professeur le plus controversé de France.

Récit exclusif.par Marie-France Etchegoin

C’est donc ici qu’elle essaie d’apaiser les souffrances et de dénouer les angoisses. Dans ce cabinet tout en longueur, un peu foutraque. Grande bibliothèque surchargée de souvenirs, collection d’objets anciens ou de bibelots en toc, fauteuil sans prétention recouvert de vieux coussins… On sent qu’aucun décorateur n’est passé par là. Dans cette pièce étroite, Natacha Raoult-Caïn a construit son univers. Depuis un an, surtout, elle a réussi à résister aux incessantes demandes d’interviews et a semé les paparazzis. Elle, l’épouse d’un homme qui cristallise toutes les passions, en France ou à l’étranger, et que les fans ou les détracteurs suivent à la trace, comme une idole qu’il faudrait adorer ou déboulonner. Qui est la femme du professeur Raoult ? se sont souvent demandé les gazettes. En vain. « Didier et moi, on ne fait qu’un », répond aujourd’hui celle qui, depuis quarante ans, partage la vie du patron de l’IHU (Institut hospitalo-universitaire) de Marseille. Pourtant, même au plus fort des controverses sur la chloroquine, elle n’a jamais fait de com pour défendre son mari ni pris la pose à ses côtés pour des photos officielles. Les seuls clichés où ils apparaissent tous les deux viennent de ses albums personnels.

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© Sandra Mehl

Mais voilà, la docteure Raoult-Caïn est aussi écrivaine et si elle accepte, en ce mois de février, de sortir de sa réserve, c’est à l’occasion de la parution de son roman « Un mardi chez les fous » (éd. Michel Lafon), chronique souvent désopilante d’une journée dans un hôpital psychiatrique marseillais et où l’on se demande à chaque page qui, entre les soignants et les malades, a la plus belle araignée au plafond. Publier une telle comédie alors que les « anti-raoultiens » dépeignent son professeur de mari en mégalo déjanté et que l’épidémie semble faire perdre la tête à toutes les autorités médicales, il fallait oser. « En effet, sourit la psy en caressant le chat gris lové sur ses genoux (il est là à chacune de ses consultations), ce qui se passe autour de Didier, je me dis souvent que c’est du délire. Cela ne mérite pas autant de bruit et de fureur, ni d’un côté ni de l’autre. Mais c’est intéressant à observer et j’adore que la vie soit imprévisible. » Ainsi, sur sa messagerie téléphonique, saturée de demandes de conseils sur les traitements et les vaccins, une dame vient de lui proposer de « chasser les mauvais esprits », dans les locaux de l’IHU, à coups de « gousses d’ail ». La psy sourit, toujours.

« DANS LA FOLIE, IL Y A UNE VÉRITÉ, QUELQUE CHOSE D’AUTHENTIQUE »

L’humour lui sert de bouclier et la folie ne lui a jamais fait peur. « Je suis née dedans », dit-elle. Ses parents, déjà, Jacques et Anne Caïn, étaient des médecins de l’âme, lui professeur de psychiatrie réputé, elle analysée par Lacan et également connue pour ses travaux. Dès son plus jeune âge, leur fille a vu défiler à l’heure du dîner leurs éminents collègues, certains parmi les plus grands spécialistes de l’inconscient, mais aussi des malades aux pathologies spectaculaires et provisoirement hébergés à domicile tandis que d’autres rôdaient autour du magnifique hôtel particulier de Marseille où elle a passé son enfance. « Je suis Madame Caïn, je suis Madame Caïn », criait notamment l’une des patientes du professeur, atteinte d’« érotomanie », en essayant d’escalader le mur de la propriété, emberlificotée dans une robe de mariée. En fin de journée, la petite Natacha allait aussi chercher son père dans la clinique où il officiait et où elle exercera elle-même plus tard avant d’ouvrir son cabinet. Elle attendait qu’il termine ses consultations, sur un banc, dans le parc, et devisait avec les résidents. Tous l’ont vue grandir, certains sont ensuite devenus ses patients. De leurs histoires, elle a tissé son roman. Sans pathos mais avec tendresse. « Elle les aime ses fous », écrit-elle à propos de l’un de ses personnages, la psy Samantha, son double. L’adolescent persuadé d’avoir trouvé la formule mathématique pour « sauver la planète », la mère qui cherche désespérément un magasin où acheter de « la peau de couille » pour en recouvrir les manuels scolaires de ses enfants ou la jeune fille qui confie en grand secret : « Docteur, j’ai un bus dans la tête, un vrai bus avec des gens dedans. » Les délirants, les paranoïaques, les grands mélancoliques, la Samantha du roman les écoute et entre dans leur monde. Comme Natacha, dans la vraie vie. « La maladie mentale, dit-elle, ce n’est jamais joli. C’est cru, c’est dur, c’est douloureux. Mais dans la folie, il y a une vérité, quelque chose d’authentique, parfois une perception accrue qui fait dire tout haut ce que l’on doit penser tout bas. Rien qui m’effraie puisque moi-même je déteste le vernis et le conformisme. Je suis très cash. Didier et moi avons ça en commun. »                                          

Longtemps, elle a essayé d’« échapper à son destin ». Psy comme papa et maman ? Au départ, elle ne voulait même pas s’inscrire en fac de médecine. Au lycée, adolescente rebelle, elle ne rêve que littérature. Mais ses parents n’imaginent pour elle qu’un métier « sûr et surtout transportable », tant ils redoutent d’avoir un jour et encore une fois à tout quitter. La mère a perdu une partie des siens dans le ghetto juif de Wilno (Vilnius) ou dans les camps d’extermination. Le père, engagé dans la résistance et qui vota communiste jusqu’à la fin de sa vie, n’a jamais oublié que sous Vichy, l’antisémitisme d’État avait dépossédé et spolié la famille Caïn, des industriels prospères, de ses biens. Tous deux élèvent leur fille (scolarisée seulement à l’âge de 6 ans) dans l’idée que le pire peut toujours arriver mais aussi qu’il faut savourer chaque moment de l’existence, chanter, jouer du piano, parler plusieurs langues, russe, polonais, allemand…, lire le « Petit Livre rouge » de Mao tout autant que Racine ou Lautréamont. Anne et Jacques ont une seule exigence pour Natacha : des diplômes en béton. « Ma fille, lui martèlent-ils l’un comme l’autre, tu feras médecine. » La bachelière finit par céder, entre à la fac à 16 ans et hésite pendant la moitié de ses études à se spécialiser en psychiatrie. « C’est Didier qui m’a convaincue, raconte-t-elle. Il me disait : “Natacha, maintenant ça suffit, tu sais bien que tu es faite pour ça.” » À cette époque, ils sont déjà mariés, suite à une rencontre en forme de « coup de foudre », au début de l’année 1981.                

Lui a alors 28 ans, elle à peine 20. Et, aux dires de beaucoup d’étudiants, avec « ses pommettes slaves » et « ses yeux myosotis », c’est la plus jolie fille de l’amphi. « Qui est le meilleur pour préparer le concours de l’internat ? » leur demande-t-elle un jour. « Didier Raoult ! » lui répondent-ils tous en chœur. Aussitôt, elle rejoint « l’écurie » – comme on dit chez les carabins – de celui qui est déjà une petite star, même s’il a eu auparavant une scolarité difficile et contrariée, comme sa future épouse avec laquelle il convole en justes noces en 1982. La toute jeune « Madame Raoult » termine ses études enceinte de leur premier enfant, « regardant de près », précise-t-elle, les « manières de Didier avec les malades ». Il « les rassure, leur prend les mains ». « Un vrai docteur, résume-t-elle. C’est cela qui m’a d’abord séduite chez lui plus que son intelligence, sa culture, ou ses capacités scientifiques. Aujourd’hui encore, quand l’un de ses patients va mal, il peut ne pas en dormir de la nuit. » Inutile de dire à quel point elle l’admire. La réciproque est vraie, affirment tous ceux qui fréquentent le couple, un duo « fusionnel mais complémentaire », selon eux. « Didier, c’est la puissance du raisonnement qui vous enfonce si vous êtes sans arguments. Natacha, c’est la puissance de l’écoute et de la bienveillance », dit Renaud Muselier, président (LR) du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur et ex-condisciple du big boss de l’IHU à la fac de médecine. « Cette femme est fine, drôle, gaie, solaire », se réjouit encore l’élu marseillais. « Libre surtout », ajoute Rudy Ricciotti, le célèbre et iconoclaste architecte, concepteur du Mucem. Et dotée d’un sacré « caractère ».

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© Sandra Mehl

« ELLE A TOUJOURS ÉTÉ À 100 % AVEC SON MARI »

La carrière que Didier Raoult aurait pu faire aux États-Unis, ce pays où, soulignent toujours ses partisans, on lui offrait un pont d’or ? C’est elle, Natacha, qui l’en aurait dissuadé, en 1986. Tous deux viennent alors de passer un an à Washington. Le microbiologiste a été sollicité par le National Institutes of Health avec à la clé un poste « très bien rémunéré » aux « prestigieux » CDC (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies) d’Atlanta. Sa femme a décroché un emploi au Walter Reed General Hospital. Elle y étudie les effets de l’addiction à la drogue dite « de l’amour », la MDMA, sur des singes. « Affreux, se remémore-t-elle. J’ai détesté travailler là-bas. Et je ne voulais pas que mon fils et ma fille soient éduqués à l’américaine. » Elle a tout fait pour revenir à Marseille, et auprès de ses parents adorés. « Comme Didier, je suis très famille. » Les mondanités ? « Je les fuis ou je m’en amuse. » En 2017, invitée au Festival de Cannes par l’ami Muselier, elle a d’abord acheté une robe façon sirène aussi argentée que bon marché. Puis, sur le tapis rouge, elle s’est « collée » à l’acteur Adrien Brody pour lui voler la lumière. Elle en rit encore. « “Poussezvous ! Poussez-vous !” me hurlaient les photographes. “Arrête, tu es folle”, pestait Didier [qui, lui, portait le smoking de rigueur, ndlr]. J’ai tenu plusieurs minutes en faisant de grands coucous avec les mains. Pour une fois que je montais les marches ! »                                                                                        

Il paraît loin, pourtant, le temps où elle pouvait s’autoriser de telles fantaisies aux côtés de son mari. Aller se baigner avec lui sur les plages du Prado, assister en sa compagnie à des concerts de rock (en 2018, ils s’étaient précipités au stade Vélodrome pour les Rolling Stones), prendre tous les deux le métro. À Marseille comme à Paris, fini, à moins d’être assaillis par des demandes de selfies ou d’autographes. Elle répugne à s’en plaindre, préférant ne retenir que le meilleur : « Tous ces artistes, ces peintres que nous n’aurions jamais connus et qui nous soutiennent, tous ces intellectuels, ces philosophes, de Bernard-Henri Lévy à Michel Onfray, avec qui mon mari ou moi avons pu avoir des discussions passionnantes… » Sans compter la sortie d’« Un mardi chez les fous », d’abord édité – comme d’autres romans qu’elle a en réserve – à compte d’auteur et dont la publication chez Michel Lafon doit beaucoup, note-t-elle avec une rare franchise, à « la notoriété de Didier, je ne suis pas dupe ».               

Des polémiques que l’homme de sa vie suscite, des excès qui lui sont reprochés ou – mystère plus anecdotique – de sa longue chevelure, la psy se garde de piper mot. « Mais, confie l’une de ses amies médecins, Claude Merli Weiller, Natacha croit en Didier quasiment les yeux fermés. Elle ne peut pas penser qu’il a tort. Et même s’il a un peu tort, elle est sûre qu’il a eu raison de faire ce qu’il a fait. Elle a toujours été à 100 % avec son mari. » À la demande de ce dernier, et dès le premier confinement, elle a œuvré auprès de la communauté gitane, durement touchée par l’épidémie, et qu’elle connaît bien pour avoir soigné plusieurs de ses membres. « Comme Didier, glisse-t-elle, j’ai toujours été attirée par les nomades. » Parfois, aussi, elle l’accompagne au Sénégal, où il est né et continue à conseiller des unités de soins.                

Aujourd’hui hélas, partout l’épidémie la rattrape. Dans les services de gériatrie où elle donne aussi des consultations, « des personnes âgées, isolées, collées devant BFM toute la journée » ne font que lui répéter : « Docteure, j’ai envie de mourir. » Seule Marseille, qu’elle ne voudrait quitter pour rien au monde, la ressource. Et aussi, on s’en doute, son mari qui n’est pourtant pas de tout repos. Fin janvier, alors qu’elle nous faisait visiter ses endroits préférés sur le Vieux Port, son portable a sonné en mode haut-parleur. C’était « Didier ». Même voix qu’à la télé mais enjouée, complice, presque humble. Il venait de dénicher une statistique qui apportait de l’eau à son moulin et brûlait de la partager avec elle.

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© Presse ParMarie-France Etchegoin

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