Du Pilpoul à…BeTipul ! : Une série sur le divan

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Du Pilpoul à…BeTipul ! (En Thérapie) :

Une série sur le divan[1]

par Jean-Marc Alcalay

Israel Psychoanalytic Society, 13 rue Disraeli, Jérusalem, 13 février 2021 : 17h00.

3e séance[2]

– Bonjour docteur F. Excusez-moi, mais 7 mois que je ne suis pas venue. J’ai honte. J’étais bloquée à l’étranger, en France et puis en arrivant ici, confinement et j’en passe…

– Bonjour madame, bon…, vous n’y êtes pour rien enfin je…Comme vous dites…, Bon…, Passons…Aujourd’hui, en face à face s’il vous plait,

– Comme dans la série…

– Ha… ?

 – C’est ma troisième séance. Je crois que j’avance un peu…, mais je ne sais toujours pas où je vais, où ce que je dis me mène. D’ailleurs, parfois, comme je vais mieux, j’ai envie d’arrêter,

– Quand on parle, on ne sait jamais où l’on va, car ce que l’on dit, on ne le sait qu’après l’avoir dit. Entre-deux, on peut faire des lapsus, on peut se contredire, se mentir, faire d’autres liens…Tout ça est bien normal. C’est le travail même de la parole. Au début, on est toujours un peu déboussolé. Mais faites-vous confiance. En tout cas, moi, j’ai confiance en vous,

– Oui, c’est vrai, quand je vous ai raconté mes rêves que j’ai appelés « mes rêves à Jérusalem », j’ai commis des lapsus, j’ai ajouté des précisions et des associations auxquelles je ne pensais pas au début, je sais que les paroles débordent et qu’elles jouent des tours…

– Vous dites vrai. C’est comme ça que ça marche la parole quand elle est se met au travail. Appelons-ça l’inconscient, qui a surgi en vous quand vous m’avez apporté les images de vos rêves et que vous les avez parlées…

– A propos d’images. Vous avez vu docteur, la série  « En thérapie ». Quand je la regarde, je ne peux pas m’empêcher de penser à vous et à nos séances, vous et le docteur Dayan, le docteur Dayan et vous…Je passe de vous à l’autre,

– Euh…J’ai lu dans un journal français que près de deux millions de téléspectateurs l’avaient regardée. Et je ne parle pas des vues sur Internet. C’est toujours moins qu’un match de football…Mais que voulez-vous dire au juste ?

– Qu’ici c’est pareil et à la fois différent. Vous par exemple vous parlez moins que le docteur Dayan. Il a pourtant l’air freudien, lacanien enfin…, je pense…

– C’est une série madame. Il faut bien qu’il y ait du mouvement, même des mouvements d’humeur, à l’israélienne, donc, très directs, puisque la série française est adaptée d’une série israélienne, et puis, des colères, des passage à l’acte comme on dit, alors que dans nos séances, et dans d’autres d’ailleurs, on n’a moins affaire à tous ces débordements…Et puis le temps que vous vivez ici n’est pas le même que le temps de la série TV. Ici c’est un peu plus long, vous le savez. Ou préférez-vous plutôt que je vous dise que chaque patient est différent, que leur parole est singulière. Mais que pensez-vous du docteur Dayan ? Dites-moi !

– Oui je sais, chaque psy est différent. J’aime quand le docteur Dayan intervient, il parle quoi ! Et puis, il reçoit des couples. Vous, vous n’avez jamais convié mon mari à nos séances. D’ailleurs il y a un épisode de la série où pendant la séance, une patiente en présence de son mari, fait une fausse couche et laisse sa perte, son sang, sur le divan comme une marque indélébile, un échec qui sera comme traumatique pour le docteur Dayan.

– Oui, sans doute avez-vous raison, traumatique comme le sang répandu par les attentats dont la série se fait l’écho traumatique… Je peux aussi seulement vous dire que la seule thérapie de couple que j’ai réussie, c’est celle que j’ai refusée de faire avec une mère et sa fille. Six mois après, sa mère m’a remercié car sa fille était enfin sortie de sa torpeur. J’ai pensé qu’en refusant cette thérapie de couple, j’ai signifié qu’elles pouvaient être séparées et non soumises à un lien fusionnel invalidant dans lequel la jeune fille étouffait…

– Et puis, je reviens au docteur Dayan, il se confie et comme son cabinet se trouve dans son appartement, il est tentant de voir ce qui se passe de l’autre côté de la porte de son bureau, sa femme, ses enfants, sa vie privée quoi !

–  Vous aimez regarder par le trou de serrure. Cela doit vous rappeler quelque chose de votre enfance, une curiosité peut-être…Freud appelait cela la scène primitive…, vous connaissez ?

–  Ah bon, non…, oui j’aimerais aussi que vous me disiez des choses de votre vie privée…Mais vous ne dites jamais rien,

– A chacun son style. Je sais que vous venez assister à mes conférences, et parfois à des séminaires, mais je préférerais que vous ne mélangiez pas tout. Nous verrons cela après, dans plusieurs mois…

– Ah je sais, le style fait l’homme !

– je me doute bien que vous lisez Lacan

– Oui, depuis que je viens ici. Souvent je ne comprends rien, mais parfois c’est comme lumineux, un, oui mais c’est bien sûr !, comme dans une ancienne série française. Je disais lumineux, c’est comme si je touchais au Sod, vous connaissez le Sod? Je crois que Lacan aurait appelé ça le trésor des signifiants, la parole pleine,

– Vous passez du Pardès à Lacan. Pourquoi pas ! Continuez…

– Ah, je suis contente docteur vous connaissez le Pardès : Pchat, Réméz, Drach et enfin Sod, le secret…D’ailleurs, quand je regarde « En thérapie », je l’écoute en hébreu bien sûr, et je ne peux pas m’empêcher de penser à l’homonymie que le titre en hébreu m’évoque,

– Oui continuez, cela m’intéresse, mais où voulez-vous en venir ?

– Eh bien vous savez que le titre de cette série en hébreu se dit BeTipul. Il me fait penser à Pilpoul, vous savez,, cet art de la discussion et de l’échange, de la disputation, où il est question d’une discussion entre des élèves et un maître à propos d’un passage du Talmud…Le maître peut même demander à l’élève d’argumenter pour que deux propositions contradictoires du Talmud puissent au fond ne pas l’être Un peu comme un oxymore dont l’élève arriverait à lever l’opposition. L’art du Pilpoul s’appuie sur une pratique de la parole et de la logique et permet au fond de trouver d’autres ouvertures, d’autres rebondissements à partir d’une proposition talmudique… Ce n’est pas la même racine, mais BeTipul me fait penser à Pilpoul. Presque la même musicalité, le même lien consonantique…

– Pas mal !

– Oui et même Pilpoul est presque l’anagramme de BeTipul. Je pense au Pardès, qui n’est pas seulement le verger, le paradis, le jardin d’Eden mais il est aussi l’acronyme des quatre niveaux d’interprétation de la langue. Je vous l’ai dit docteur : Pchat, le contenu premier, Rémés, le contenu allusif, Drach, la recherche du sens et enfin Sod, le secret. J’ai étudié ça !

– Pilpoul ! Pile-poil ! Eh bien ! Le Pardès, c’est donc aussi pour vous le trésor de la parole, le lieu-verger de la connaissance de l’homme qui humanise son désir par le langage, le sexe et la mort. Je pourrais ajouter, métaphore, métonymie, signifiant, signifié pour faire un peu plus laïc… D’ailleurs, je peux vous dire que Karl Abraham, avait dit à Freud que le mode de pensée talmudique ne pouvait pas avoir déserté les psychanalystes dans leur pratique. Enfin, il lui avait dit à peu près cela…Mais ici, notre rapport est asymétrique plutôt que confondu…Et la psychanalyse ne doit pas être confondue avec le Talmud, même s’il y a des points communs. Ici, d’ailleurs, même si c’est un petit paradis préservé de la réalité, celle-ci s’invite nécessairement dans nos échanges, comme les attentats dans la série, mais ce qui m’intéresse dans ce lieu qui vous est ouvert et offert, c’est la façon dont vous, vous la traduisez et la représentez…

– Ah, je suis contente docteur, vous jugez bien. D’ailleurs, Dayan veut dire  juge ? Et pourtant, il ne juge pas. Oxymore ! Comme vous !

– Oui, nous avons des points communs. Mais là encore cette série bien que plutôt réussie doit tenir l’auditeur en haleine par quelques artifices télévisuels, du suspens, des rebondissements, mais ici le suspens, c’est ce que vous allez dire le coup d’après ou comment vous réagissez à mes interprétations.

– Je disais que vous ne jugez pas mais vous n’êtes pas neutre, même si j’aimerais aussi savoir vos désirs pour moi,

– Mon seul désir est celui de vous accompagner jusqu’à ce vous vous sachiez ce que vous êtes venue chercher ici. Je crois que le docteur Dayan le formule aussi à l’une de ses patientes

– J’ai bien compris, C’est moi que je viens chercher ici, mon Sod !

– Oui, c’est ça ! C’est ça !

– Ha !, le ça, l’inconscient, je l’avais presqu’ oublié !

– Eh bien rappelez-vous-en. C’est lui qui se joue entre nous et parfois, il se joue de nous dans nos séances. Je dirais même qu’il grimace ! Bon, restons-en là madame pour aujourd’hui. A la semaine prochaine…

– Merci docteur F. Et d’ici là, il y a encore cinq épisodes de Pilpoul, oh pardon de BeTipul !

– Beau lapsus. Mais ne me lâchez pas pour le docteur Dayan. Ce n’est qu’un acteur et cette série, une fiction vraie !

– Ah, j’y réfléchirai…, mais…, une fiction vraie et fausse à la fois comme tout ce que je vous raconte ? Si je comprends bien : si je mens, peut-être que je dis la vérité, mais si je crois dire la vérité, sans doute que je mens…, oh là là… !

– A la semaine prochaine…

Jean-Marc Alcalay


[1]  « BeTipul », la série israélienne date de 2015. L’adaptation française « En Thérapie » est réalisée  en France (2021)  par Olivier Nakache et Éric Toledano.

[2]  Lire les séances précédentes. Jean-Marc Alcalay,   Mon rêve à Jérusalem : les 12 jurés et le Président- grenouille, in, Jforum, 27 janvier 2020. Encore un rêve à Jérusalem !, in, Jforum,  2 juillet 2020.

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