Fauda *, le chaos syrien hors de Syrie, Gilles FALAVIGNA

Publié par

 

Un procès dit historique vient de s’achever à Coblence. Mais parler de procès historique est un peu négliger le paramètre que l’histoire a une fâcheuse tendance à se répéter ou à bégayer.

Pour la première fois, ou presque, un dignitaire syrien a été jugé pour ses crimes contre l’humanité. Il vient d’être condamné à la prison à perpétuité en Allemagne.

Ce procès de Coblence ne pouvait échapper au parallèle avec le procès de Nuremberg. Le procureur rappela donc la responsabilité allemande de la Shoah, sujet particulièrement sensible. On se rappelle que la France a très longtemps dissocié le régime de Vichy de la France. Mais la France a bénéficié d’un gouvernement à Londres et de la Résistance qui lui ont permis de faire partie du camp des vainqueurs. Il n’en est pas du tout de même pour l’Allemagne. Il n’y a pas de nazisme sans l’Allemagne.

Sur le principe de l’universalité des crimes contre l’humanité, la justice allemande a autorité pour juger un étranger pour des crimes commis hors d’Allemagne. La défense de Anwar Raslan reposait sur le déni des faits pour le fond et qu’il était réfugié politique en Allemagne dès 2014 pour la forme.

Le parcours du personnage reste flou. A-t-il fui la Syrie ? A-t-il infiltré les réfugiés au service de son maître jusqu’au bout ?

Le procès de Nuremberg a établi les preuves à charge par les centaines de milliers de témoignages, des survivants, des documents. Ce procès de Coblence disposait d’autant de témoignages. Et Anwar Raslan était le chef des procédures d’enquêtes et responsable de meurtres et de la torture des opposants à Bachar al- Assad.

Le parallèle avec le procès de Nuremberg peut laisser un goût amer. En 1945, le régime allemand est vaincu. Le témoignage de la Shoah sonnait comme une révélation au monde qui semblait ignorer ce dont est capable l’humanité. La doctrine du « Plus jamais ça ! » de Menahem Begin avait un sens concret. Depuis, la formule est dévoyée, la formule est galvaudée. Elle est utilisée, comble des phénomènes d’inversion-substitution généralisés, par les ennemis d’Israël.

Et Bachar al Assad est toujours au pouvoir.

Ce procès laisse le goût en sensation d’inachevé. Anwar Raslan est le monstre décrit lors de son procès. Il est un maillon important d’un régime dictatorial qui pouvait gazer son peuple. Qui a-t-il de vraiment historique à juger ce qui n’est plus qu’un opposant à Assad ? Est-ce le symbole du droit international ? Que représente-t-il alors sur le terrain géopolitique ?

La Syrie a connu une libanisation. Plus que les Russes, alliés paternalistes mais surtout maîtres de Bachar al Assad, le Hezbollah et l’Iran sont les vrais soutiens du régime baasiste. Il y a eu libanisation par les clans. Il y a eu libanisation par la présence armée du Hezbollah. La Syrie est devenue dépendante du Liban.

Véhicules de transport blindés M113 américains aux mains du H9ezbollah

La Syrie a toujours été un territoire de massacres. Si Hafez al Assad, père de Bachir, prend le pouvoir en Syrie en 1971, c’est sous l’égide du parti Baas. Mais c’est également parce qu’il est alaouite et alaouite du fait de son appartenance à la tribu kalbiyya.

« Think global, act local ! » La géopolitique du Moyen-Orient résulte encore des influences des grandes puissances et du mode tribal.

La tribu kalbiyya est originaire de l’anti-liban, cette région qui prolonge les montagnes du Liban. Anwar Raslan est originaire de Homs, dans cet anti-liban que le mandat français avait énoncé État Alaouite.

Dans cette partie du monde, les droits de l’homme sont une notion abstraite. Le Bien et le Mal y résultent de la Fitnah, séparés par le feu ou le glaive. C’est traditionnellement la loi du plus fort et la puissance d’une tribu la détermine.

Asma El Akhras, adepte de la tyrannie

Le régime totalitaire syrien est forgé sur la famille al Assad. L’épouse de Bachar, Asma El Akhras, de nationalité britannique, s’est révélée adepte de la tyrannie, de l’oppression. Elle n’a en rien tempéré son époux. La mère de Bachar, Anissa Makhlouf, a toujours et jusqu’à sa mort, assuré le parti Baas de la plus sanglante répression sur les sunnites.

Le rôle de ces épouses, de confession sunnite, confère le déterminant avant tout tribal de la politique locale. Le régime Baasiste a construit des rapports urbains pour contrer les influences tribales régionales alors que les alaouites sont minoritaires.

La Syrie est un pays jeune, sorti de l’empire ottoman par la volonté franco-britannique après la première guerre mondiale et qui ne s’est jamais émancipé. C’est un théâtre majeur des opérations entre les grandes puissances, USA et Russie, puis des puissances régionales.

Le procès de Nuremberg a été historique. Le droit pénal international en est issu. Mais derrière cette belle image, la réalité est que l’Occident n’en voulait pas. l’URSS s’est battue seule contre tous pour qu’il ait lieu. Pour mémoire, il n’y a eu aucun tribunal ni poursuite contre les criminels de guerre nippons. Les intérêts géostratégiques et géoéconomiques prévalaient. L’adage de l’époque romaine, malheur aux vaincus, ne peut se dissiper totalement des esprits objectifs concernant le procès de Nuremberg. Bien sûr, cela ne remet en aucune façon la légitimité du procès, tout au contraire. Mais les aspects politiques déterminants ne sont plus du tout les mêmes aujourd’hui.

L’Occident se réjouit du procès de Coblence. Il se donne également bonne conscience. Les crimes ne resteront pas impunis, dit-on. On ne peut que l’espérer tout en sachant que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Nous jugeons les conséquences des actes et depuis le regard que nous leur portons. Nous ignorons bien volontiers les causes qui les ont provoquées. « Plus jamais ça ! »? L’injonction est paradoxale.

Idan Amedi - Fauda Theme Song (Menasim) | עידן עמדי - מנסים

* Fauda, traduction de chaos en arabe, est le titre d’une série israélienne qui met en scène des infiltrés.

Par Gilles Falavigna

Un commentaire

Laisser un commentaire