Tunisie : en attendant Kaïs, par Albert Naccache

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TUNISIE EN ATTENDANT KAÏS

Chronique d’un papy flingueur Albert NACCACHE

 

Kais Saïed, président de la République tunisienne

Près de deux mois après la déclaration de l’état d’exception par Kaïs Saïed, une partie de la population s’impatiente face à l’absence de mesures politiques concrètes. Le 25 juillet 2021 Kaïs Saïed s’était appuyé sur l’article 80 de la Constitution qui autorise des mesures exceptionnelles en cas de «péril imminent» à la sécurité nationale. Il avait limogé le premier ministre, suspendu les activités du Parlement et s’était attribué le pouvoir judiciaire, pour une période d’un mois renouvelable avant de prolonger ces mesures le 24 août, «jusqu’à nouvel ordre».

 

 

Le palais présidentiel de Carthage

 

Le président roupille ? 

 

Si vous n’avez pas connu le mois d’août et la sieste à la Goulette, vous n’avez rien connu. La tranche rouge de pastèque découpée devant vous par le marchand ambulant -qui rangeait sa cariole à bras devant l’entrée du Casino de la Goulette- était l’antidote à la torpeur. Or le palais présidentiel de Carthage construit par l’architecte tune Olivier-Clément Cacoub se trouve à quelques kilomètres de là.

Une correspondante FB, Sara Skbm répond le 14 septembre à l’hashtag : #ChbikomMazroubine ? (Pourquoi êtes-vous si pressés ?) «C’est sûr que si j’habitais un palais en bord de mer, avec serveurs, masseurs, encadreurs, secrétaires et cuisiniers et un salaire de 17 briques, moi aussi je dirais aux autres qui s’impatientent dehors dans la canicule que 50 jours ce n’est vraiment rien dans l’histoire d’une nation»

 

Manifestation à Tunis juillet 2021


Un président très populaire

 

Mais voilà, Kaïs Saied jouit d’une très grande popularité. «En effet, il fallait descendre dans la rue, aller dans les places publiques, le soir du 25 juillet, se rendre le lendemain et les jours qui suivent, dans les marchés, les cafés et les bars, pour se rendre compte de la liesse populaire et de la joie de tout un chacun, hormis les islamistes et leurs alliés…»

Historien spécialiste du Maghreb et professeur d’Histoire contemporaine à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, Pierre Vermeren répondait le 12/8/2021 aux questions d’Ines Gil :«Selon moi, la Tunisie était depuis longtemps dans une situation intenable quand le président a déclaré l’état d’exception. La crise que traverse le pays est multiple : elle concerne tous les secteurs de la vie économique, sociale et politique.

…les institutions politiques menaient chacune des actions de leur côté sans concertation, dans une cacophonie souvent totale et paralysante. C’est pourquoi elles étaient dans l’incapacité de prendre des décisions politiques urgentes, alors même que la situation économique et sanitaire est catastrophique. Le pays est au bord de la banqueroute et les hôpitaux ne parviennent pas à faire face à la pandémie de Coronavirus (parmi tant d’autres problèmes). … Depuis plusieurs mois, de nombreux commentateurs (journalistes, chercheurs ou politiciens) tirent la sonnette d’alarme : pour eux, la situation ne pouvait pas durer. Or au même moment, la formation dominante, le parti Ennahda, a tenté d’obtenir des compensations financières pour des événements répressifs survenus il y a plusieurs décennies, alors même que l’État est au bord de la faillite… Ces dernières années, la justice a reçu des instructions d’Ennahda pour ne pas juger des présumés responsables des attentats et assassinats terroristes de 2013-2015»

Le journaliste Hatem Bourial salue un «nouveau souffle républicain».

un nouveau souffle républicain


         Pour Mezri Haddad, philosophe et ancien ambassadeur de Tunisie à l’Unesco : «Ce qui se passe en Tunisie n’est pas un coup d’État mais un sursaut républicain… Kaïs Saïed a usé légalement de ses prérogatives présidentielles pour défendre le pays contre l’entrisme islamiste. Le président Kaïs Saïed a pris des décisions qui feront date dans l’histoire du seul et dernier pays arabe encore gouverné par des théocrates déguisés en démocrates, que certains idiots utiles de l’islamo-gauchisme en France considèrent comme des islamistes «modérés», ou des démocrates musulmans, ou encore des «islamo-conservateurs». Autant de casuistiques terminologiques pour récuser un fait historique, idéologique et politique incontestable, à savoir que l’islamisme, des Frères musulmans jusqu’à Daesh et en passant par al-Qaida, puise dans la même doctrine théocratique, totalitaire et terroriste dont la naissance remonte à 1928 en Égypte».

Rached Ghannouchi dirigeant d’Ennahda et président du Parlement

Marwane Ben Yahmed, directeur de publication de Jeune Afrique écrit le 30/8/21. «Kaïs Saïed est-il l’homme (fort) de la situation ?Kaïs Saïed a donc décidé de renverser la table. À la tête, depuis le 23 octobre 2019, d’une Tunisie paralysée depuis trop longtemps par l’incompétence, pour ne pas dire l’indigence, de sa classe politique, frappée de plein fouet par la crise sanitaire, rongée par la corruption, le chômage endémique de ses diplômés comme de ses ouvriers et la fuite des cerveaux, le chef de l’État, dont personne ne sait jamais ce qu’il pense ni ce qu’il entend faire, a, comme à son habitude, pris tout le monde de court».

Je ne sais pas si Kaïs est un adepte de la sieste telle que pratiquée à la Goulette où sa famille était voisine de celle de Gisèle Halimi, car il s’est révélé être fort actif.

 

Un président fort actif

En menant une course contre-la-montre sur les fronts politique et économique et en menant une opération mains propres. À maintes reprises, il a affirmé qu’il ne dialoguerait pas «avec les voleurs et les traîtres». Il a affirmé que son pays était «gouverné par une mafia. C’est un État à deux régimes… Un régime apparent, celui des institutions, et un régime réel, celui de la mafia qui gouverne la Tunisie. Je ne dialoguerai pas avec les voleurs». Tout un pan de l’économie tunisienne est en plein marasme depuis des mois. La Tunisie est confrontée à des pénuries alimentaires et à la hausse des prix qui touchent certaines denrées de première nécessité. La stratégie adoptée par Kaïs Saïed, a consisté à traquer les pratiques commerciales illicites (monopole, spéculation),

Le président tunisien a averti qu’il poursuivrait tous ceux qui spéculent sur les produits de première nécessité. Sur les réseaux sociaux, ces initiatives se multiplient, avec l’espoir d’en finir avec la corruption qui ronge le pays. Quelque 460 hommes d’affaires sont accusés de détournement de fonds sous l’ère Ben Ali. Ils devraient 13,5 milliards de dinars (4 milliards d’euros) à l’État. Il leur propose l’amnistie pénale si les sommes remboursées sont investies dans les régions défavorisées de Tunisie.

En mettant fin aux blocages sociaux et en libérant les lignes ferroviaires., il a relancé la production de phosphate qui a connu un bond depuis le 25 juillet. Il a rencontré les composantes de la société civile : syndicat des travailleurs, journalistes, conseil de la magistrature ou encore organisation des femmes.

Manifs islamistes et contre-manifs     

Démonstration de force des islamistes d’Ennahda Tunis 18 septembre 2021

 

Le samedi 18 septembre des centaines de personnes ont manifesté sur l’avenue principale de Tunis contre le «coup d’État» du président Kaïs Saïed. En majorité des partisans d’Ennahda mais aussi membres des membres d’Al-Karama, coalition ultra-conservatrice alliée d’Ennahda ainsi que quelques figures de gauche. Reprenant le slogan qui fit tomber le président Ben Ali en 2011, ils sont des centaines à scander «Kaïs dégage».

En face, une contre-manifestation improvisée menée par des jeunes prend de l’ampleur et dénonce la démonstration de force des islamistes au cri de «Ghannouchi, dégage».

Quo Vadis

Il est certain que chaque jour qui passe, l’incertitude est plus grande sur l’avenir du pays. Kaïs est au pied du mur et risque de mener son pays dans le mur. Les médias spéculent sur les décisions possibles : législatives anticipées, annonce d’un gouvernement provisoire suivie d’une révision de la Constitution devant ensuite être soumise au suffrage universel via un référendum, avant de nouvelles élections législatives. L’option du référendum visant à réviser la constitution 2014 en vue de mettre en place un régime présidentiel semble avoir les faveurs de la Présidence.

Ennahda, a déjà exprimé «son rejet catégorique de toute suspension de l’application de la Constitution ou changement du système politique, possiblement via un référendum». L’historien et ancien doyen de la faculté des lettres de la Manouba Habib Kazdaghli avait eu fort à maille avec les islamistes lors de la rencontre en hommage à Paul Sebag qui avait légué sa bibliothèque à son établissement universitaire en 2006. Il considère que la Tunisie moderne ne dispose certes pas de richesses énergétiques, mais que le pays est devenu «grâce à l’investissement dans l’intelligence des femmes et des hommes émancipés par l’école et le savoir, riche en matière grise». Cet investissement est le meilleur rempart contre l’islamisme.

Maya Ksouri


       En voici une illustration avec le cri du cœur de Maya Ksouri, avocate et chroniqueuse de «Klem Ennas» sur Ettounissia-TV : «Je ne suis pas arabe, je suis peut-être la petite-fille de la reine Amazigh Dihya (la Kahéna), ou la petite-fille de la reine Didon, ou peut-être la petite-fille du général carthaginois Hannibal, mais je ne suis certainement pas de la communauté de la pisse de chameau. Ma grand-mère avait un tatouage amazigh sur son front». 

Maya Ksouri défilant sans complexe en mars 2020) : “… elle est bel et bien la « Femme qui allie la tête et les jambes» donnant, ainsi de nouveaux complexes à ses détracteurs”, selon UniversNews

benillouche.blogspot.com

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