L’arrêt de la civilisation : d’Oslo à Kaboul
Le 26 août 2021, l’Etat Islamique au Khorasan a revendiqué l’attentat commis dans l’aéroport de Kaboul. Les 85 personnes (dont 13 marines de l’armée américaine) ayant péri, outre des centaines de blessés, fuyaient les talibans revenus au pouvoir (depuis deux semaines) ou participaient aux opérations d’évacuation. Le 30 août 2021, l’EI a réitéré, avec des roquettes sur l’aéroport de la capitale afghane, sans faire de victime. Manifestement, les Etats-Unis ne sont pas parvenus à porter leur projet civilisationnel, dans ce pays antérieurement plongé dans l’islamisme intégriste taliban, entre 1996 et 2001. La population afghane devrait donc, à nouveau, être confrontée au terrorisme islamique, avec, en outre, une surenchère entre Talibans, Etats Islamique et Al Qaïda qui partagent une finalité commune : mettre un terme à la diffusion des valeurs occidentales. L’islamisme radical mis en place dans certains pays musulmans (tout comme à Gaza), ne traduit pas un choc de civilisations mais juste un rejet, par l’Islam, des valeurs prônées en occident, en l’occurrence, la tolérance, la primauté de l’individu et la nécessité de coexister de façon pacifique.
En fait, l’Islam radical ne partage pas la conception occidentale de « civilisation » dans ses aspects intellectuel, politique ou moral. En effet, l’acception occidental de la civilisation correspond aux progrès accomplis par l’humanité, mais également aux étapes comportementales successives permettant à l’homme de passer de l’état de « barbare » à celui de « civilisé ». A l’origine, l’objectif était de transformer les sociétés pour en faire des structures sociétales idéales. Aussi, les projets occidentaux de « colonisation » visaient-ils à éclairer les populations autochtones pour les sortir de la violence et des guerres intestines menées.
Avec le principe de primauté des Droits de l’Homme, le concept occidental de « civilisation » est désormais associé, sur le plan individuel, à l’idée de justice, au respect de l’individu et à l’ensemble de ses droits (vie, liberté, sûreté, expression, dignité, travail, recours aux tribunaux…) et, sur le plan collectif, « au droit des peuples à disposer de lui-même » (c’est-à-dire au droit, pour un peuple, de se choisir ses propres institutions et son mode d’organisation politique). Ce n’est, évidemment pas, le choix civilisationnel imaginé dans l’Islam radical. D’ailleurs, les talibans, l’Etat Islamique Al Qaida (ou encore le Hamas), ne sont nullement intéressés par l’avis des personnes qu’ils entendent administrer sous leur dictature. Seul compte, le projet civilisationnel islamique imposé, peu importe les états d’âme.
La stratégie de l’EI a été présentée dans un ouvrage intitulé « l’administration de la sauvagerie : l’étape la plus critique à franchir par la Oumma », mais la méthode employée est très voisine de celle des djihadistes talibans, d’Al Qaïda ou encore du Hamas. La méthode consiste, pour les djihadistes, à prendre le contrôle des territoires sous régime arabe et musulman, tout en s’opposant aux américains et aux occidentaux selon une méthode assez simple : le recours à la violence pour épuiser les structures étatiques et instaurer une situation de chaos, se présenter comme seule alternative crédible au projet colonialiste occidental, et obtenir le soutien des populations locales.

Le processus se déroule alors en trois étapes : tout d’abord, le harcèlement de l’ennemi au moyen d’attentats terroristes pour l’affaiblir, « l’administration de la sauvagerie » pour reconstituer l’unité originelle de la communauté islamique en terrorisant les ennemis et les populations soumises (les techniques classiques sont les massacres, les enlèvements, la décapitation, le crucifiement, la flagellation, l’amputation, le bûcher, la lapidation…) et enfin, la proclamation du califat (pour l’EI).
Le discours idéologique des djihadistes a un point commun : la volonté d’incarner une alternative pour réparer « l’humiliation » infligée aux populations arabo musulmane du Moyen-Orient, tant par les régimes autoritaires musulmans que par les influences étrangères. Pour ce faire, une internationalisation du conflit permet d’étendre le phénomène dans les pays musulmans, tout en provoquant l’occident avec des attentats et en maintenant une propagande qui présente les musulmans comme en étant les victimes. Les djihadistes peuvent alors se présenter comme un universalisme opposant musulmans et mécréants.
Pour l’heure, la force des djihadistes tient dans la capacité d’enfermer, intellectuellement, les populations administrées, et ce, d’autant plus facilement que le terme « musulman » signifie « soumis à Allah » et, Islam, « soumission à Allah ». Il suffit alors de convaincre les musulmans qu’ils doivent revenir au mode de vie préconisé par Mahomet dans le Coran et imposé par la Charia. Or, comme en l’Islam, il n’y a pas de séparation entre le profane et le sacré, les préceptes religieux gèrent la vie de l’individu tout comme celle de la cité, et les musulmans dociles adoptent les injonctions coraniques dans leur vie quotidienne.
En Afghanistan, les Djihadistes devraient être confrontés à un obstacle non prévu : l’ouverture d’esprit et les libertés dont les afghans ont goûté pendant les 20 ans de présence américaine. En effet, le peuple afghan n’a manifestement plus envie du mode de vie proposé par les islamistes, ni de retomber sous le joug de doctrinaires qui entendent leur retirer les acquis humanistes de l’occident, en terme de respect de libertés individuelles et de dignité de l’individu, de condamnation de la corruption, de tolérance, de démocratie… s’ils entendent conserver le pouvoir, les talibans devraient donc assouplir leur position pour gagner une légitimité internationale. S’en suivra alors une guerre avec l’EI qui conteste définitivement leur prise du pouvoir, et leur relation à venir avec l’occident qu’il vomit.
La situation en Afghanistan présente des similitudes avec celle qui prévalait entre juifs et palestiniens, dans la période comprise entre le 31 juillet 1988 (date de la renonciation de la Jordanie à ses liens de souveraineté sur la Cisjordanie) et la signature des accords d’Oslo : le Fatah était sur le point de normaliser les relations avec Israël. Israéliens et palestiniens coexistaient dans une relative harmonie. Dans les villes de Cisjordanie, les commerces juifs jouxtaient les commerces palestiniens et, dans la ville d’Hébron, juifs et palestiniens priaient ensemble dans la Mosquée d’Abraham (les uns dans la synagogue, les autres dans la mosquée). De même, dans la bande de Gaza, les entrepreneurs juifs employaient des personnes palestiniennes et il n’y avait aucune séparation géographique entre les territoires juifs et palestiniens. La courtoisie dans les relations n’empêchait bien évidemment pas les palestiniens de revendiquer la possibilité de s’auto administrer.
Non content des relations apaisée entre Israël et l’Olp, le Hamas a pris le relais en fondant l’éviction des juifs de Palestine sur des considérations religieuses (l’injonction d’Allah) et non plus nationale. D’ailleurs, le discours idéologique de la Charte du Hamas de 1988 reprend la philosophie de l’Etat Islamique et son mode opératoire : semer la terreur auprès de l’ennemi, le déstabiliser et imposer la Loi Islamique sur tous le territoire.
Les accords d’Oslo se sont avérés être une calamité pour Israël en ce qu’ils ont, de nouveau, incité les palestiniens à recourir au terrorisme pour mettre un terme aux « relations civilisées » entre palestiniens et israéliens. Pire, les palestiniens de Cisjordanie sont, désormais, majoritairement séduits par le discours islamiste du Hamas et l’arrêt de tout lien avec Israël. Dommage. Leur nature revient au galop.
Par Maître Bertrand Ramas-Muhlbach