Consulat de France et i24 news, la désinformation en marche

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Le tombeau des rois est un site important du patrimoine historique juif. Pour des raisons rocambolesques, un véritable roman d’aventure à la Arsène Lupin, ce site est inscrit au patrimoine français. Le consulat général à Jérusalem le gère directement et en rend l’accès difficile et rare (deux demi-journées par semaine) avec inscription préalable… Encore que la sépulture elle-même, creusée dans la roche, est solidement cadenassée à l’alibi de raisons de sécurité. C’est une nouveauté depuis sa réouverture et ça doit justifier le 1,1 million d’euros dépensés en dix ans.

Un documentaire sur ce lieu exceptionnel était attendu. Yael Escojido, l’historienne et guide de ce lieu qu’elle veut faire connaître depuis des années, en avait proposé la réalisation à i24news, d’abord sans succès.

Finalement, la chaine demande à ce consulat l’autorisation d’y tourner. Mais voilà, lors d’une récente visite, Haim Berkovits et moi avions accompagné Yael. Nous étions, bien sûr, sur la liste des visiteurs adressée au préalable au consulat : il faut montrer patte blanche à l’entrée, être sur la liste. Nous avions même pu filmer les lieux. Alors, le consulat autorise la journaliste de i24 d’y tourner aux conditions expresses que Yael n’en soit pas le guide et qu’il choisisse les intervenants ! Pour le représentant d’un pays dont le Président ne cesse de clamer haut et fort l’importance du respect de la liberté d’expression (sans parler de la liberté de la presse) voilà un cas d’école. Des paroles aux actes.

Un journaliste expérimenté, à défaut d’être informé, aurait subodoré un problème et aurait défendu son droit à l’indépendance. Ce ne fut pas le cas. A i24 on a des hontes au logis.

Le groupe Drahi et son i24news s’inscrit-ils  dans la ligne de collusion avec le pouvoir politique des Hersant ou Dassault ?

Exit Yael et arrivée dans le paysage du père Jean Baptiste Humbert. Un autres archéologue de l’école biblique de Jérusalem, Dominique Cabaret, qui, approché pour un projet antérieur de documentaire, avait répondu qu’il ne parlerait qu’avec l’autorisation du consul (sic)… Le poids du consulat ! Le consulat choisit incontournablement les intervenants. Le paysage est dressé. Le documentaire formaté est réalisé et présenté.

D’entrée de jeu le ton est donné : “nous n’aborderons pas les problèmes politiques”. Evidemment puisqu’il s’agit de protéger la propagande consulaire. Et pour bien positionner le tableau historique, les Romains sont à peine des envahisseurs mais les Juifs sont d’impénitents irascibles et irréductibles sujets ingouvernables ! 

Esther Cohen, en voix off, explique que la France dispose de quatre domaines à Jerusalem. Trois sont gérés par des organisations catholiques et largement ouverts au public. Il est précisé que deux avaient été offerts par les Ottomans à Napoléon III, le troisième par la princesse de la Tour d’Auvergne qui l’avait restauré. Ce qui ne l’ai pas, précisé, c’est le seul site juif, ni comment il semble tomber dans l’escarcelle de la France. Ce site, c’est justement le Tombeau des rois, géré directement et parcimonieusement par le Consulat. La France a-t-elle envie qu’on connaisse et visite le Tombeau ? On évite soigneusement les problèmes et polémiques. Au Tombeau des rois, on les enterre avec grand art, les polémiques.

On ne saura pas grand-chose de la reine Helene, reine kurde convertie au judaïsme, on en saura encore moins de ses deux fils, rois juifs en Adiabène qui tentèrent d’aider leurs frères sous le joug romain. Flavius Josèphe pourtant en parle longuement dans ses antiquités judaïques. Chateaubriand les avait lus qui ne s’en était pas laissé compter par son guide lors de sa visite à Jerusalem en 1806. 

Félicien de Saulcy, tout à ses rêves de renommée, lui,  en 1851, s’imagine découvrir le tombeau des antiques rois de Juda sur ce site connu et révéré par les très nombreux Juifs hiérosolymitains. Il s’était ridiculisé à l’académie des Belles Lettres en présentant copie des frises du monument manifestement gréco-romaines soit d’un millénaire postérieures au roi David. Il revient en 1863 fouiller et malgré l’opposition ferme des pèlerins juifs, enlève discrètement les sarcophages. Il prend le large à Jaffa quand l’envoyé du sultan apporte le firman faisant arrêter les fouilles…

Le grand rabbin de France, Lazare Isidore, alerté, trouve une philanthrope, madame Berthe Amélie Bertrand, qui se porte acquéreur du site et l’offre au consistoire central. Par un malencontreux hasard, Salvator Patrimonio, le consul de France chargé de l’achat, oublie de faire le transfert de nom… Il est, de ce fait, l’officiel propriétaire !

Henri Pereire, petit-cousin de Berthe Amélie, s’en étonnera  avant de prétendre en 1885 lorsqu’il en fit don à la France “pour le conserver à la science et à la vénération des fidèles enfants d’Israel…” que son oncle et son père, les célèbres banquiers Pereire, avaient acquis ce haut lieu en 1878. Pourtant, son père était décédé en 1875 ! Le récipiendaire pour la France est Mr Freycinet ancien ministre des travaux publics, ancien Président du Conseil et surtout ancien Chef d’exploitation de la Compagnie des Chemins de fer du Midi dont Henry est le Vice-Président…

L’acte d’acquisition du terrain par les frères Pereire est introuvable, leur testament allégué en la matière par Henry n’est jamais vu, l’acte de donation aux archives de Nantes n’est pas signé… Ça fait beaucoup mais “nous n’aborderons pas les problèmes politiques” dit la journaliste. Donc trois fois rien sur Hélène d’Adiabene et rien du tout sur la propriété qualifiée de problème politique. Juste de la propagande du Quai d’Orsay. 

La seule polémique qui n’est pas éludée et sujet d’une bonne moitié de l’émission est celle isolée de Jean-Baptiste Humbert : le seul à  dénier  que la reine Hélène soit enterrée là avec des propos plutôt confus et se contrariant. Il promet depuis des années des révélations qui n’arrivent pas. C’est un dominicain, élève du père De Vaux qui fut longtemps directeur de l’école biblique de Jérusalem, connu pour ses sympathies fascisantes et son antisémitisme avéré. Humbert, lui aussi dominicain, est directeur du laboratoire d’archéologie de la même École biblique et archéologique française de Jérusalem. La collusion de l’Eglise et du Quai d’Orsay.

Pendant que la journaliste joue à l’exploratrice intrépide dans une sépulture mainte fois visitée avant les travaux de réfection, le père Humbert se pavane et babille. Il explique que ce ne peut être le tombeau d’une reine puisque c’est un véritable labyrinthe (plutôt modeste), nous savons bien tous que les sarcophages des pharaons égyptiens sont faciles d’accès, n’est-ce pas ? Il explique que le site est trop grandiose pour Hélène d’Adiabène mais pourrait être celui d’une obscure reine araméenne descendante d’Hélène et inconnue de tous. Que le sarcophage, actuellement au Louvre, n’a pas été ouvert alors que de Saulcy raconte que lors de son ouverture la dépouille s’était désintégré. Bref, du travail d’historien. Puis, sous la plaque commémorative du don d’Henry Pereire, il jette que le site a été offert à la France par les Ottomans ! Je ne peux pas croire qu’il ne sache pas lire.

C’est d’ailleurs probablement parce que le don avait été expressément fait pour que le lieu reste à la vénération des fidèles enfants d’Israël  que le consul Laboulaye l’avait prêté à une association palestinienne de musique alors que le site avait été fermé pour travaux. Le Tombeau des rois n’était donc pas fermé pour tout le monde. Il s’en suivit évidemment un scandale. Désormais la crypte est fermée ce qui permet à la journaliste de faire croire qu’elle est une intrépide exploratrice en descendant vers les tombes.

Rappelons que le consulat invoque,  pour sa propriété, les antiques accords de Mytilène (1901) suivis du traité de Constantinople (1913) qui ne sont que des exonérations fiscales pour ensuite jouer d’une confusion propriété/souveraineté ou invoque encore les accords Chauvel/Fischer (de 1949 et, au demeurant, non officiellement ratifiés par Israël) qui ne mentionnent évidemment pas ce site.

Le Dr Youval Barou’h, de la direction de l’Autorité des Antiquités en Israël, se référant à Flavius Josèphe, suggère dans ce documentaire vide que ce monument est un témoignage de la culture juive et que les sarcophages ont leur place en Israel. Il est temps, en effet, qu’ils reviennent du Louvre à leur place naturelle ; la loi Savoy-Sarr de restitution des biens culturels pourrait bien s’appliquer aux sarcophages et au Tombeau des rois qui n’a plus besoin d’une protection tutélaire comme indiqué dans l’acte de don. Les temps ont changé et les termes n’ont pas été respectés.

Voilà la politique que la journaliste voulait éluder dans un documentaire dans lequel on n’apprend rien, pas même l’architecture et l’histoire du lieu, ni la vie de celle  qui reposait dans la crypte.

Il est temps que l’Etat d’Israël prenne les choses en mains et s’exprime. Crainte d’une crise diplomatique ? La France votera-t-elle plus de résolutions internationales qui la déshonorent ? Marquera-t-elle d’une étoile jaune (Pétain est revenu à la mode) plus de produits importés d’Israël ? Annulera-t-elle encore plus de contrats juteux pour ses entreprises à des prétextes fallacieux ? Arrêtera-t-elle la coopération antiterroriste qui lui bénéficie ? Libèrera-t-elle l’assassin terroriste présumé de la rue des Rosiers qu’elle avait d’abord protégé et que la Norvège vient d’extrader à Paris ? Ses Présidents cesseront-ils de venir faire des scandales à Jérusalem ? Il y a un risque à prendre. La France courbe l’échine devant l’Iran et la Turquie parce que ceux-là savent montrer les dents.

Richard Rossin

Ancien Secrétaire Général de MSF, cofondateur de Médecins du Monde,

Ancien Vice-Président de l’Académie Européenne de géopolitique.

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