Des salauds et… des héros ! AVANT LA RAFLE, de Patrick Wald Lasowski 

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Des salauds et… des héros !

AVANT LA RAFLE [1]

Mai 1942

de Patrick Wald Lasowski 

[1] Patrick wald Lasowski, Avant la rafle. Mai 1942, Éditions Stilus Collection Belle plume, 2022.

Par Jean-Marc Alcalay

Dans Avant la rafle, Patrick Wald Lasowski, spécialiste de la littérature du 18e  et du 19e  siècle, nous propose son troisième roman consacré à la Terreur. Terreur religieuse dans Les singes de Dieu[1], terreur révolutionnaire dans La Terreur[2], terreur nazie dans ce dernier roman, mais à peine romancé, tant il est bien documenté et qu’il faut absolument lire. Ainsi, notre auteur raconte-t-il trois événements tragiques et monstrueusement fondateurs de ce notre 20e siècle. Dans une première partie, d’une plume alerte et sans concession, Patrick Wald Lasowski dresse devant nous une table d’invités peu recommandables, abjectes même, des salauds en fait, réunis pour un dîner de vainqueurs, il y a tout juste 80 ans, ce 15 mai 1942. Ensuite, table de shabbat, plus frugale mais tellement plus humaine, dramatiquement humaine d’ailleurs, entre Itzahak Wladski, son fils David, symboles de tous les Juifs assassinés et Roland Bayard leur voisin de palier de la rue Philippe, à Montmartre. Puis, histoire d’un héros : les mémoires du capitaine Tremblé pour une France libre.

 

Salauds, à table !

Merci à Patrick Wald Lasowski de rafraichir  la mémoire de ceux qui auraient oublié cette terrible soirée au cours de laquelle Otto Abetz, l’ambassadeur du Reich en France reçoit en son hôtel de Beauharnais du 32 rue de Lille à Paris, non seulement des nazis connus dont entre autres, le chef  suprême des SS et de la Gestapo, le général Oberg, mais encore nombre d’intellectuels français, dont des écrivains, des directeurs de journaux, tous fascinés et fascisés par ce Reich qui devait durer mille ans. La table est mise, véritable repas totémique où les boucs émissaires sont bien évidemment les Juifs. Patrick Wald Lasowski cite quelques noms parmi ce triste cortège mortifère de collabos : Lucien Rebatet, Alphonse de Châteaubriant, Gen Paul, Fernand de Brinon, Jean Luchaire, Corinne Luchaire, Robert le Vigan, Jacques de Lesdain, le marquis de Polignac puis encore Louis Ferdinand Céline sans doute fier de trois de ses pamphlets déjà publiés dans lesquels il a dégueulé tout ce qu’il pouvait de sa vomissure antisémitisme : en 1937, Bagatelles pour un massacre[3], en 1938 ? L’école des cadavres[4], et en 1941, Les Beaux draps[5]. C’est déjà beaucoup, mais si ce n’était que ça[6] !… Malgré tout il s’ennuie parmi cette chienlit en col blanc et croix de fer, mais il lance tout de même à son hôte : «  Otto von Abetz, monsieur l’ambassadeur, tout ça c’est très joli  mais il faudrait quand même régler la question juive [7] »  Il sera bientôt récompensé mais sans jamais être assez satisfait du sort réservé aux Juifs, et pourtant : obligation du port de l’étoile jaune dès le 29 mai 1942, rafle du Vel d’hiv, les 16 et 17 juillet de la même année, et puis au final, 6 millions de juifs assassinés… Mais jamais un mot de protestation de tous ces tristes invités pour les autres écrivains et artistes déjà arrêtés, déportés, suicidés…  Patrick Wald Lasowski suivra le destin de chacun  de ces collabos jusqu’à leur fuite à Sigmaringen ou ailleurs après qu’ils s’étaient vautrés dans la boue nazie pendant toutes ces années brunes.

Ce 15 mai 1942, les convives présents à l’ambassade d’Allemagne à Paris ne peuvent pas ignorer le sort des Juifs déjà scellé depuis la conférence de Wannsee du 20 janvier de la même année, où les nazis ont décidé des moyens techniques de la solution finale. Les salauds connaissent les ordonnances antijuives qui depuis 1940, marginalisent les Juifs de toute vie civile. Ils sont au courant que le 1er convoi déportant les Juifs de France vers Auschwitz est parti le 27 mars, toujours de la même année. Et Patrick Wald Lasowski par ce livre édifiant de nous rappeler que là encore, il y a juste 80 ans.

Héros d’un shabbat triste !

Symbole de tous ces Juifs,  ce même 15 mai 1942, à l’autre bout de Paris, d’une plume plus émotive et tendre, Patrick Wald Lasowki dresse une autre table, de shabbat celle-là, plus intime, plus affectueuse aussi  pour notre auteur. Car si j’ose écrire, son patronyme à une étroite musicalité avec celui d’Itzahak Wladski celui qu’on appelle Rabbi depuis qu’il ne peut plus revenir dans sa ville natale de Lwów. Dans Wladski le nom du héros de notre auteur, on y retrouve Wlad de  Wlad Lasowski et nous savons que Lwów est aussi la ville d’origine de la famille de Patrick Wlad Lasowski, dont une partie a été assassinée par les nazis. Originaire donc de Lwów, Itzahak Wladski semble tout droit sorti d’un roman d’Isaac Bashevis Singer quand il évoque sa ville natale, ses parents, ses amis la vie ordinaire d’un Shtetl d’Europe centrale d’avant la guerre : « Cette ville était un opéra. J’entends encore battre son cœur [8]»  Mais pour cette soirée, ils ne sont que trois, Rabbi comme on l’appelle, son fils David et leur ami Roland Bayard leur voisin de palier. Rabbi ne peut évidemment plus revenir à Lwów où sa femme, son autre fils, sa famille sont restés aux mains des nazis. Cruel destin que cette ville rêvée par notre Rabbi. Hier, Lwów, jadis polonaise et bombardée par les nazis, après la guerre elle devient Lviv, est aujourd’hui ukrainienne et est bombardée par les Russes… Son fils, David deviendra aussi un héros comme le capitaine Marc Tremblé dont l’histoire va suivre.

Vous avez dit… diplomatie ?

Encore un roman-vrai imaginé par Patrick Wald Lasowski qui dresse le portrait de Marc Tremblé. Son récit s’appelle : Mémoire du capitaine Tremblé pour une France libre.

    Retour à Berlin en 1933, notre héros vient d’être nommé agent de Renseignements à l’ambassade de France sous la direction de François-Poncet. Et Patrick Wald Lasowski de nous décrire avec une belle justesse et dans un rythme endiablé, l’effrayante rapidité de la montée du nazisme Tous vont assister à la prise du pouvoir par Hitler, aux premiers autodafés, aux arrestations et aux exécutions sans jugement des opposants au nouveau pouvoir en place. Même   Rhöm le chef des SA et ses sbires qui ne valaient pas mieux que les SS d’Hitler, seront assassinés…Véritable thriller diplomatique, Marc Tremblé doit contacter dans le plus grand secret les opposants à Hitler, en savoir davantage sur les véritables projets du maitre d’Allemagne, ce qu’il fait avec le plus grand sérieux en rendant compte avec d’autres agents du Renseignement de ses inquiétudes auprès des diplomates et des politiques. Mais rien n’y fait, les nazis prennent de plus en plus le contrôle de tous les rouages politiques de l’Allemagne. Les politiciens français restent frileux et montrent leur lâcheté devant la peste brune qui monte et ce, malgré les rapports de leurs agents de Renseignements. Ainsi avec beaucoup de justesse, Patrick Wald Lasowski met dans la bouche de Marc Tremblé une réflexion qui garde encore toute sa pertinence pour nos hommes politiques d’aujourd’hui : « Si je puis me permettre monsieur l’Ambassadeur, la haine s’impatiente par temps de crise mais dans chacun de leur discours, les chefs de la horde assurent qu’ils tiennent l’avenir » puis plus loin «… C’est que le sommeil des démocraties engendre des monstres [9]».  Et Patrick Wald Lasowski d’amener le lecteur jusqu’à l’échec final de la diplomatie anglo-française par capitulation, devant l’Allemagne nazie, et Daladier et Chamberlain, de signer alors le 29 septembre 1938, les accords de Munich, acceptant de ce fait le dépècement de la Tchécoslovaquie, signant dans le même temps une première victoire manifeste des nazis et bientôt la guerre !

Les héros

La France capitule, les nazis traquent les opposants, les Juifs toujours, la Résistance s’est organisée, mais les salauds sont bien en place, fréquentent les beaux hôtels, les restaurants chics, rencontrent toujours les collabos français, les mêmes qu’hier, Rebatet, Polignac, Céline encore, Le Vigan toujours, puis d’autres encore comme Sacha Guitry[10], écrivains, artistes et directeurs de journaux encore. Marc Tremblé n’a pas tremblé devant la tenaille nazie. Il est entré en résistance avec d’autres anciens de Saint-Cyr qu’il fréquentait à Berlin. Il assiste au pire de ce que l’occupation allemande fait aux Juifs français puis étrangers : arrestations, déportations, exterminations. Le sort réservé aux résistants n’est pas mieux.

Patrick Wald Lasowski mène le récit de cette occupation d’une manière telle que nous avons du mal à lâcher son livre : filatures, suspicions, chausse-trappes, arrestations, exécutions, jusqu’au dénouement final où le lecteur découvrira le destin du capitaine Marc Tremblé, symbole du courage, de l’esprit de liberté et héros si attachant de Patrick Wald Lasowki. Quant au destin de Rabbi et de son fils, nous ne le dévoilerons pas ici mais disons seulement au lecteur qui se plongera dans ce livre que David aussi deviendra un héros. Mais pas ceux-là !

Fin de partie pour les salauds !

Pour les invités français de l’ambassadeur Otto Abetz, le festin jouissif et mortifère se termine avec la défaite annoncée de l’Allemagne nazie. Dès septembre 1944 sur ordre d’Hitler, le gouvernement de Vichy est exilé d’office. Patrick Wald Lasowki suit les traces des anciens vainqueurs jusqu’à Sigmaringen dont l’auteur, de façon bien documentée, décrit aussi les destins funestes… On retrouve Pétain, Laval, Luchaire et sa femme, Doriot, Déat, de Brinon, Bonnard… et Céline, toujours vautré dans cette boue française, collaborationniste et antisémite. Il fuit le château de Sigmaringen et se fait arrêter au Danemark. Restons une minute sur ce triste écrivain à qui Patrick Wald Lasowski ne fait pas de cadeau. Je rajouterai  que Céline est encore adulé de nos jours. Ses admirateurs oublient trop souvent le salaud et l’écrivain antisémite qu’il toujours été. Sans aucun remord après la guerre, il se disait même volontiers victime. Je citerai seulement Julien Gracq qui écrivait à propos du « talent » de Céline : « Après peut-être faut-il compter Céline, mais c’est souvent moins une débâcle de la langue qui s’écrit qu’un accident du tout-à-l’égout. [11]»

Pendant sa fuite au Danemark, Céline s’est peut-être souvenu des fastes de ce repas honteux du 15 mai 1942. C’était hier, il y a 80 ans ! Et grâce au livre de Patrick Wald Lasowski, nous aussi,  nous ne l’oublierons pas !

Par Jean-Marc Alcalay

[1] Patrick Wald Lasowski, Les Singes de Dieu,  Paris Cherche-Midi, 2016.

[2] Patrick Wald Lasowski, La Terreur, Paris Cherche-Midi, 2014.

[3] Louis Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoêl, 1937.

[4] Louis Ferdinand Céline, L’École des cadavres, Paris Denoël, 1938.

[5] Louis Ferdinand Céline, Les Beaux Draps,  Paris, Nouvelles Éditions françaises, 1941.

[6] Pierre- André Taguieff et Annick  Duraffour,  Céline, la race, le Juif, Fayard, 2017.

[7] Avant la rafle, opus cit.  p. 29.

[8] Ibid., p. 39.

[9] Ibid., p. 80

[10] Sacha Guitry a été arrêté puis incarcéré après la Libération, et libéré enfin sans preuve de collaboration manifeste après le témoignage de Tristan Bernard qu’il avait sauvé de la déportation.

[11] Julien Gracq,  « Lettrines », in, Œuvres complètes, tome II, Gallimard, Pléiade, 1995, p. 212.

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