Le nouveau fonds de Jared Kushner projette d’investir de l’argent saoudien en Israël

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Par Dion Nissenbaum et Rory Jones 

 

The Wall Street Journal  09 mai 2022

 

Le fonds souverain saoudien a confié deux milliards de dollars à Affinity Partners, l’entreprise de l’ancien conseiller à la présidence, acceptant pour la première fois d’injecter des liquidités dans des entreprises israéliennes

Jared Kushner, le gendre de l’ancien président Donald Trump dont il était le conseiller principal, a joué un rôle déterminant dans la signature de ces accords d’Abraham.

Le nouveau fonds de capital-investissement de Jared Kushner prévoit d’investir des millions de dollars saoudiens dans des start-up israéliennes, selon des sources bien informées sur ce projet. Un signe du réchauffement des relations entre deux adversaires historiques.

Affinity Partners, qui a levé plus de trois milliards de dollars, dont un engagement portant sur deux milliards de dollars du fonds souverain du royaume, a déjà sélectionné les deux premières entreprises israéliennes dans lesquelles investir, ajoutent ces sources.

C’est la première fois que, de manière connue, des liquidités du Public Investment Fund (PIF), le fonds souverain saoudien, vont être consacrées à des projets en Israël. Une nouveauté qui témoigne de la volonté grandissante du royaume de faire des affaires avec ce pays, même si les deux Etats n’entretiennent officiellement aucune relation diplomatique. Cette démarche pourrait contribuer à jeter les bases d’un accord de normalisation décisif entre les deux capitales.

Israël consolide ses partenariats commerciaux et sécuritaires avec les Etats arabes, notamment les Emirats arabes unis, près de deux ans après la négociation sous l’égide des Etats-Unis ayant mené à la conclusion de traités de normalisation historiques. M. Kushner, le gendre de l’ancien président Donald Trump dont il était le conseiller principal, a joué un rôle déterminant dans la signature de ces accords dits d’Abraham. A cette période, il a également tissé des liens solides avec le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane (MBS), le dirigeant de facto du royaume. Depuis qu’il a quitté l’administration, M. Kushner a exploité les contacts noués lors de son passage à la Maison Blanche dans tout le Moyen-Orient pour développer son fonds de private equity, une entreprise qui devait lui rapporter de juteuses commissions, que ses investissements se révèlent fructueux ou non.

« Accroître la prospérité dans la région et y construire des ponts économiques participera à cimenter les relations de long terme établies lors de la signature des accords d’Abraham »

Dans le cadre des négociations visant à sécuriser les financements provenant du royaume, les responsables saoudiens ont accepté qu’Affinity Partners investisse dans des entreprises israéliennes, confient des sources proches du dossier, ajoutant que Riyad pourrait également ouvrir son économie à ces dernières dans le cadre d’une collaboration avec M. Kushner.

Lors de ses échanges avec les dirigeants saoudiens, M. Kushner et son équipe les ont prévenus que leur pays risquait de perdre l’accès et les opportunités liées à ce qu’ils appellent « la Silicon Valley du Moyen-Orient » au profit de leurs voisins qui ont, eux, signé les accords d’Abraham avec Israël, précisent les sources.

Au cours d’une interview, M. Kushner a déclaré qu’il considérait ses projets d’investissement comme la prolongation de son travail à la Maison Blanche, qui a consisté à renforcer les liens entre Israël et ses voisins arabes. Ces derniers ont longtemps refusé de normaliser les relations avec l’Etat hébreu si les dirigeants israéliens n’acceptaient pas la création d’un Etat palestinien.

« Si nous pouvons amener les Israéliens et les musulmans de la région à faire des affaires ensemble, cela les poussera à se concentrer sur des intérêts et des valeurs communs, a-t-il ajouté. Nous avons donné le coup d’envoi d’un bouleversement régional historique qui doit être renforcé et nourri afin de concrétiser son potentiel. »

  1. Kushner et son équipe n’ont pas souhaité s’exprimer sur les entreprises avec lesquelles ils travaillent ou sur le montant des fonds susceptibles d’être placées en Israël. Il a également refusé de discuter de ses échanges avec MBS, qui supervise les orientations stratégiques du fonds d’investissement saoudien. Des personnes au fait des discussions assurent que le prince Mohammed a nécessairement dû approuver toute décision d’investir directement en Israël.

Un porte-parole du Fonds souverain saoudien (PIF), doté de 600 milliards de dollars, et dont le conseil d’administration est présidé par MBS et comprend des ministres de premier plan, a refusé de réagir dans le cadre de cet article. Le service des relations presse du gouvernement n’a, lui, pas souhaité répondre à nos questions.

Le PIF a pour mission de transformer l’économie nationale saoudienne en investissant dans de nouveaux secteurs et dans de gigantesques projets immobiliers, comme la cité-Etat futuriste appelée Neom, un projet à 500 milliards de dollars. Le prince Mohammed ben Salmane a déclaré à ses conseillers et diplomates qu’il espérait que les Israéliens joueraient un rôle important dans le développement de Neom, en investissant notamment dans la biotechnologie et la cybersécurité. En novembre 2020, MBS a rencontré à Neom le Premier ministre israélien de l’époque, Benjamin Netanyahu, signe que l’Arabie saoudite pourrait à son tour ratifier les accords d’Abraham. Mais, depuis l’arrivée au pouvoir de nouveaux gouvernements aux Etats-Unis et en Israël, cette dynamique s’est essoufflée.

Après avoir sécurisé l’investissement saoudien, M. Kushner et son équipe se sont rendus en mars en Israël pour rencontrer des dizaines d’entreprises locales intéressées par un soutien financier d’Affinity, selon des sources bien informées. M. Kushner a organisé des réunions avec des start-up israéliennes travaillant dans différents secteurs, allant des soins médicaux à l’agriculture en passant par les logiciels et le cyber, précisent-elles.

« Jared Kushner peut vous ouvrir des portes. Il est capable d’introduire des entreprises israéliennes dans des pays avec lesquels nous n’avons pas de véritables relations, comme l’Arabie saoudite et l’Indonésie »

« Accroître la prospérité dans la région et y construire des ponts économiques participera à cimenter les relations de long terme établies lors de la signature des accords d’Abraham », assure Elie Wurtman, cofondateur de PICO Venture Partners, qui a aidé à organiser des réunions pour M. Kushner et son équipe.

  1. Kushner a présenté sa société d’investissement à d’autres Etats arabes riches en pétrole, dont les Emirats arabes unis et le Qatar, qui n’a pas signé les accords d’Abraham, selon The Wall Street Journal.

Avant ce traité, les Emirats arabes unis autorisaient déjà l’accès à leur marché aux sociétés israéliennes ayant des activités dans d’autres pays. Aujourd’hui, Abu Dhabi a la possibilité d’effectuer lui-même des investissements directs en Israël et a conclu une série de contrats. Un fonds souverain émirati, Mubadala Investment, qui gère 250 milliards de dollars d’actifs, a investi des sommes allant jusqu’à 20 millions de dollars dans six sociétés de capital-risque domiciliées en Israël ou tournées vers ce pays. Un autre fonds souverain d’Abu Dhabi, ADQ, a engagé 105 millions de dollars dans Aleph Farms, une entreprise israélienne produisant de la viande de synthèse.

L’Arabie saoudite n’est pas le seul pays sans relations diplomatiques avec Israël que M. Kushner courtise. Affinity cherche également à proposer des technologies israéliennes à l’Indonésie, la nation à majorité musulmane la plus peuplée du monde, selon des sources proches des discussions. Avant de quitter la Maison Blanche, M. Kushner et son équipe travaillaient à la conclusion d’un accord de normalisation entre les deux pays, mais il n’a pas été finalisé avant l’entrée en fonction du président Biden.

Les responsables indonésiens n’ont pas donné suite à nos sollicitations.

Le choix de M. Kushner de faire, après son passage à la Maison Blanche, du Moyen-Orient le cœur de ses activités dans le business lui ont valu des critiques de la part de certains parlementaires démocrates. Ces derniers se demandent si le soutien de l’Arabie saoudite ne constitue pas une rétribution de son appui indéfectible à MBS lors de son passage à la Maison Blanche. M. Kushner et l’administration Trump ont défendu le prince héritier après les conclusions des services de renseignement américains indiquant qu’il avait approuvé le projet visant à assassiner ou à capturer Jamal Khashoggi, un éditorialiste saoudien du Washington Post tué par une équipe saoudienne à Istanbul en 2018. Mohammed Ben Salmane a toujours nié avoir ordonné cette opération.

Affinity déclare être fier de son partenariat avec le fonds saoudien et rejette les allégations selon lesquelles il serait lié, de quelque manière que ce soit, au soutien apporté, lorsqu’il travaillait à la Maison Blanche, par M. Kushner à MBS.

Sur le terrain, Affinity doit faire face à la concurrence d’autres investisseurs pour attirer les meilleures start-up israéliennes. Ces dernières années, une profusion de capitaux internationaux a entraîné un boom de la tech locale. L’année 2021 a même été record en termes de levée de fonds, avant que le marché ralentisse au cours du premier trimestre 2022.

Ayelet Frish, conseillère stratégique et experte en image de marque israélienne qui a aidé à organiser des réunions pour Affinity, estime que le discours de M. Kushner a trouvé écho auprès de nombreuses entreprises.

 

« Jared Kushner peut vous ouvrir des portes, assure celle qui a été conseillère stratégique en chef de feu le président israélien Shimon Peres. Il est capable d’introduire des entreprises israéliennes dans des pays avec lesquels nous n’avons pas de véritables relations, comme l’Arabie saoudite et l’Indonésie. »

  1. Kushner a déclaré que la perspective d’une normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël se trouverait accélérée par le resserrement des liens économiques.

« Plus nous pourrons nouer des relations commerciales et présenter les innovateurs de la région les uns aux autres, plus nous donnerons de la force à ceux qui veulent emprunter cette nouvelle voie et plus nous affaiblirons ceux qui restent bloqués dans l’ancien paradigme », a conclu M. Kushner.

(Traduit à partir de la version originale en anglais par Grégoire Arnould)

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