Un livre à ne pas manquer : Victor Soskice

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L’oeuvre de Pierre Lurçat, lue par Evelyne Tschirhart 

 

Victor Soskice. Qui sauve un homme sauve l’humanité. 

Editions L’éléphant. 2022. En vente sur Amazon et B.o.D et dans toutes les bonnes librairies.

 

 

En ces temps difficiles où la résistance à l’oppression semble atone, où l’on a parfois le sentiment que la jeunesse se désintéresse du politique et ne décolle pas de l’abstention, qu’elle reste imperméable à l’engagement politique et semble indifférente à l’héroïsme, valeur qui paraît désuète de nos jours et reléguée aux accessoires d’une histoire dépassée[1], Pierre Lurçat nous livre un récit, à la fois foisonnant et poignant : celui d’un héros qui donna sa vie en s’engageant dans la résistance contre l’occupant nazi, durant la seconde guerre mondiale.

Pour l’auteur, Victor Soskice est d’abord un modèle : « Qui sauve un homme, sauve l’humanité ». L’exemplarité de l’engagement, jusqu’au sacrifice suprême, vient nous rappeler que, de tout temps, nous avons eu besoin de modèles lors de situations graves, afin de transcender le tragique de l’existence. Car c’est dans le dépassement de soi, dans son engagement, que l’homme donne un sens à sa vie. Aussi, l’on peut remercier l’auteur de nous rendre proche et familière une figure aussi belle, aussi touchante que celle du jeune Victor. Il était promis à un avenir heureux, grâce à une famille aimante, à des études solides et à sa fiancée Ginette qui ne fera jamais vraiment le deuil de ce grand amour.

Un livre qui se lit comme une enquête

Cette histoire est une quête, une aventure dans laquelle l’auteur est particulièrement impliqué puisque certains protagonistes sont des membres de sa famille. En effet, Jean Lurçat (grand- oncle de Pierre), artiste mondialement connu pour ses tapisseries, épousa en secondes noces, Rossane, la mère de Victor. C’est ainsi que ce garçon vécu toute son enfance avec Jean Lurçat qui l’éleva comme un fils et Rossane, sa mère, profondément attachée à cet enfant et qui ne comprit pas son engagement dans la résistance. Elle mourra d’un cancer, sans doute la conséquence de son chagrin inguérissable, en apprenant la disparition de son fils.

Ce livre est aussi la quête de la vérité, à travers les nombreuses rencontres émouvantes et profondes de l’auteur, avec ceux qui ont connu Victor, l’ont côtoyé, notamment à l’cole Alsacienne, comme André Simon, que l’auteur rencontra presque par hasard, au kibboutz d’Ein Geddi où cet homme séjournait régulièrement. Cette rencontre allait être décisive puisque André Simon avait eu Victor pour condisciple et ami. De là, d’autres rencontres allaient s’enchaîner, s’agréger les unes aux autres pour donner vie à une figure exceptionnelle qui, sans cette recherche acharnée serait tombée dans l’oubli.

Ces rencontres ne sont pas tout à fait fortuites. Un fil invisible conduit chacun de nous, guidé par l’impérieuse curiosité de retrouver ceux qui, d’une manière, ou d’une autre, sont des figures importantes qui ont marqué notre vie.  cet égard, je serais tentée de rapprocher dans sa démarche, le livre de Pierre Lurçat avec la quête de Daniel Mendelsohn dans « Les Disparus »[2] Peut-être que l’idée commune à ces deux ouvrages c’est le besoin de donner vie et chair aux disparus, de connaître leur ultime cheminement, jusqu’à la mort. Mais c’est aussi apprendre sur soi. Ce besoin impérieux qui nous dépasse étend ses ramifications qui font que cette dynamique tisse des liens avec les témoins, enrichit notre propre vie et construit lentement un récit qui donne forme à un être et l’arrache à l’oubli.

Ainsi, l’auteur verra s’ouvrir des pistes qui le conduiront à la rencontre de ceux qui, de près ou de loin se sont intéressés à l’existence de Victor Soskice, comme Caroline Eliacheff, psychanalyste et Aldo Naouri, son confrère, tous deux ayant bien connu l’énigmatique Ginette Raimbault, fiancée de Victor et surnommée le Sphynx. La fiancée de Victor était aussi une psychanalyste reconnue. Malgré des contacts professionnels réguliers et très amicaux au cours de longues années, Ginette taira jusqu’à sa mort l’existence de Victor qui avait tenu une place si importante dans sa vie. Ce silence, quasi sacré était-il le fruit d’un deuil impossible, comme s’il fallait garder au fond de soi, comme en une crypte sacrée, l’image de l’absent ? Cependant, elle avait mené de son côté des recherches sur la disparition de Victor, quand elle fut à la retraite. Les livres qu’elle avait écrits : « Parlons du deuil » et « Lorsque l’enfant disparaît », témoignent d’une quête silencieuse sur la perte, jamais abandonnée. Elle consacra les dernières années de sa vie à rechercher la trace de Victor jusqu’à l’ultime moment de son exécution.

Le choix de l’engagement

L’enfance de Victor fut heureuse. Cependant, sa mère avait voulu l’envoyer chez son père biologique à New York pour l’éloigner de la France occupée par les Allemands. Il va donc étudier au lycée français de New York et sera bachelier en 1941. Puis il entre à l’Université de Georgetown. C’est là que, promis à de brillantes études, il va décider de s’engager dans la lutte contre le nazisme en France occupée ; c’est pour lui un cas de conscience déchirant car il s’est fiancé à Ginette, envoyée elle aussi par ses parents au Lycée français de New York pour fuir la France occupée. Cependant, la détermination de Victor est totale. Il faut signaler aussi qu’il a sans doute été influencé dans son choix par les récits de son père adoptif Jean Lurçat qui participa à la guerre d’Espagne. Cette expérience exerça sur lui une fascination/répulsion qu’il partagea avec l’enfant.

Des éléments historiques peu connus du grand public

C’est à l’université de Georgetown que Victor va nouer des liens d’amitié avec le fils d’un avocat qui travaille avec Bill Donovan : créateur de l’OSS (office of strategic Services). Cet homme était très favorable à l’engagement des Américains dans la guerre contre l’Allemagne. Après bien des péripéties Donovan va créer un service de renseignements et organiser la guerre subversive sur le sol français avec le soutien actif de Churchill et du roi Georges VI.

Après avoir été accepté dans l’OSS, il suit d’abord un entraînement militaire aux EU puis il sera envoyé en Angleterre pour parfaire cette formation et sera recruté par le SOE (Direction des opérations spéciales). C’est de là qu’il sera parachuté en France – ce pays qu’il connaît bien pour y avoir passé son enfance. Il n’a que 19 ans. En Angleterre il est estimé de ses supérieurs et est promu au rang de sous- lieutenant.

Grâce au journal de Hugh Dormer qui a relaté les détails de l’expédition en France, Pierre Lurçat nous donne un compte rendu précis, détaillé et haletant des préparatifs minutieusement mis au point de l’opération « Scullion[3] » qui devait se dérouler en France en août 1943. Opération complexe qui demandait à chacun des protagonistes un sang-froid absolu.

Après l’opération réussie, les activistes se séparèrent. Dormer et Birch son compatriote réussirent à passer en Espagne mais les autres furent arrêtés par la Gestapo. Et là, s’arrête la trace de Victor.

Cependant, la vérité sur la disparition de Victor ne verra le jour que bien des années plus tard. Pour la ménager, on avait fait croire à Rossane que son fils était mort au cours d’une opération militaire peu avant la fin de la guerre. Cette version avait été inventée par les proches de Victor pour atténuer la douleur de sa mère car on savait que ceux qui tombaient aux mains de la gestapo devaient subir les pires sévices.

Le long périple de Pierre et de Judith, sa compagne, pour retrouver les traces de Victor Soskice dura plusieurs années. Il donna lieu à de nombreuses rencontres avec des associations et des personnes ayant connu le jeune homme. Les poèmes de sa mère Rossane, écrits après la disparition de son fils, expriment de façon vivante l’amour d’une mère pour son fils, ce jeune homme dont la vie aurait pu être lumineuse mais qui, comme beaucoup d’autres ne pouvait supporter l’occupation étrangère et sa barbarie.  l’amour de la vie, il a préféré le sacrifice ultime, par idéal sans doute, mais l’idéal, lorsqu’il est suivi d’action, n’est jamais vain.

Et le sort de Victor fait écho, pour moi, au film de Terence Malick : « Une vie cachée », film magnifique sur le refus d’un paysan autrichien de faire le salut hitlérien. Ce refus – véritable cas de conscience – car il a une famille et une femme qu’il aime passionnément, il le maintiendra jusqu’au bout, jusqu’à la mort. Ce film n’a pas connu, hélas, l’enthousiasme de la presse ; sans doute parce que le héros est chrétien et que sa foi lui dicte de ne pas se compromettre avec le mal. Cela illustre à quel point notre société et la critique bien-pensante, se sont détournées de la transcendance, de ce qui élève l’esprit, de ce qu’est le dépassement de soi.

Le beau livre de Pierre Lurçat, empli d’une profonde empathie pour son héros, se lit comme un puzzle, au fur et à mesure que les informations se dévoilent, grâce au patient travail d’investigation de l’auteur.

Ainsi les évènements s’enchâssent les uns dans les autres et font revivre des figures d’exception, figures héroïques dont nous avons tant besoin aujourd’hui.

Victor Soskice, après avoir été torturé à Paris, fut envoyé au camp de Flossenbürg en Allemagne où il fut pendu avec ses camarades anglais.  Ses restes n’ont pas été retrouvés et il fut sans doute incinéré dans le crématoire du camp.

Evelyne Tschirhart le 01 mai 2022

[1] Pourtant, le nombre de jeunes enthousiastes qui ont travaillé aux côtés d’Eric Zemmour pour bâtir « Reconquête » vient infirmer mon propos …

[2] Daniel Mendelsohn : « Les Disparus » Flammarion 2007 pour la traduction française.

[3] Nom donné aux deux opérations de sabotage sur le territoire français.

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