Le 26 avril 2022, le Secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a déclaré (devant la commission des Affaires étrangères du Sénat) que le rétablissement de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran (conclu en 2015) était le meilleur moyen d’empêcher l’Iran de se doter de la bombe atomique. Pour lui, l’Iran n’a besoin que de quelques semaines pour produire la matière fissile suffisante pour la fabrication d’une bombe nucléaire, alors que, dans le cadre de l’accord de 2015, ce délai serait beaucoup plus long.
Aussi, Blinken estime-t-il que le retour à l’accord pourrait conduire à une levée des sanctions américaines, en contrepartie du respect, par le Régime des Mollahs, à ses engagements en termes de limitation de l’enrichissement de l’uranium…(sic). La question se pose donc de savoir si Antony Blinken n’est pas devenu naïf.
Pour justifier le principe d’une reprise de l’accord, le Secrétaire d’État américain considère que les pressions exercées sur l’Iran « n’ont pas apporté les résultats escomptés » et que son programme nucléaire est, désormais, « beaucoup plus dangereux » (l’Iran déstabilisant, par ailleurs, toute la région).
De la même manière, les membres du Congrès (qui partagent l’avis de Blinken) sont persuadés que l’accord permettra une reprise des inspections des activités nucléaires iraniennes, que leur surveillance sera plus rigide et que les sanctions des activités malveillantes seront maintenues. Inversement, et à défaut d’accord, il pourrait s’ensuivre une crise grave conduisant à la guerre, d’autant que l’Iran (déterminé à se doter de l’arme nucléaire) est satisfait du retrait américain des pourparlers…
L’accord de Vienne sur le Nucléaire iranien (signé à Vienne le 14 juillet 2015) avait pour objet de contrôler le programme nucléaire iranien et de permettre la levée des sanctions économiques imposées à l’Iran. Non content de ses termes, le Président américain, Donald Trump, s’en était retiré (le 8 mai 2018), estimant qu’il était « le pire jamais négocié », voire « susceptible de déclencher un holocauste nucléaire ». Pour sa part, Téhéran avait expliqué avoir respecté l’accord (pendant quelques mois), avant de reprendre ses activités d’enrichissement, en 2019.
Depuis un an, l’Iran a relancé un processus de négociations directes avec la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Russie et la Chine (et indirectes avec les Etats-Unis). A ce jour, l’ensemble des problèmes techniques serait résolu. Subsisterait uniquement la question du retrait « des gardiens de la révolution » de la liste américaine des organisations terroristes étrangères, ce à quoi s’oppose le Président Joe Biden, faute de garanties iraniennes suffisantes.
Les républicains (qui partagent l’analyse de Trump) ont été les plus virulents pour s’opposer à un retour à l’accord. Ils ne sont désormais plus seuls : des démocrates se joignent à eux pour y parvenir. 18 députés démocrates ont exprimé leur crainte en ces termes : « Nous ne pouvons pas rester silencieux. Nous avons diverses préoccupations concernant les négociations relatives à la réintégration de l’accord ».
En fait, ces députés redoutent que les États-Unis renoncent à considérer le corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC) comme étant une « organisation terroriste étrangère » (FTO) alors que, parallèlement, l’accord ne freinera pas le développement des missiles balistiques de Téhéran et l’encouragement de ses partenaires terroristes régionaux.
Aussi, appellent-ils à « faire face à la menace d’un Iran doté de l’arme nucléaire qui déploiera ses activités terroristes contre les États-Unis et nos alliés ». L’accord se transformerait, alors, en « une machine à fabriquer des tueurs de sang-froid » pendant que le commerce avec les « terroristes deviendrait une monnaie d’échange bon marché »…
L’inconvénient résulte de ce qu’ils ne sont pas certains de pouvoir infléchir la position de Washington qui s’accroche à l’accord sans que le Congrés ne soit en mesure de s’y opposer. (Rappelons, qu’en 2015, l‘accord avait été rejeté par 269 députés contre 162, et par 56 sénateurs contre 42, mais que le Congrès avait été incapable d’annuler le veto de l’ancien président Barack Obama).
A ce jour, Israël et les pays arabes sont naturellement consternés par le projet de réintégration de l’accord sur le nucléaire iranien.
En effet, Anthony Blinken va (prochainement) permettre à la Russie et à l’Iran de coopérer sur des projets nucléaires civils (sic), sans lier ces relations à l’invasion russe de l’Ukraine. (Ceci est d’ailleurs conforme aux exigences de la Russie qui demandait que les sanctions américaines contre elle, dans le cadre du volet ukrainien n’impactent pas les relations commerciales russo-iraniennes). Autrement dit, Joe Biden est favorable à la participation de la Russie aux projets nucléaires du Plan d’action global conjoint (JCPOA), en respectant les injonctions de Moscou qu’il est sensé sanctionner (sic).
Comble de la naïveté, Blinken reconnaît que l’accord ne permettra pas de contourner les sanctions imposées à la Russie (sic) : dans le cadre de l’accord de 2015 (similaire au projet négocié à Vienne), la Russie, doit fournir du combustible pour les réacteurs nucléaires iraniens et aider à la refonte de la Centrale nucléaire de Fordow. En contrepartie, elle recevra l’excédent d’uranium enrichi de l’Iran (sic).
A cet effet, la société nationale russe, Rosatom (qui est le plus grand fournisseur mondial de réacteurs nucléaires et de combustible) a signé un contrat de 10 milliards de dollars avec l’Iran pour construire et assurer la maintenance de deux réacteurs de puissance dans la centrale nucléaire de Bushehr, côte sud du golfe (le projet devrait être terminé en 2024 et 2026).
La situation est donc parfaitement ubuesque : les Etats-Unis disent imposer des sanctions à la Russie (pour son action en Ukraine) mais autorise une société nationale russe à construire des réacteurs nucléaires de plusieurs milliards de dollars, dans le cadre de l’accord sur le nucléaire iranien…
Bien évidemment, Blinken s’est montré rassurant, le réacteur ne permettra pas la prolifération, autrement dit « tout ce qui est produit par lui ne peut être utilisé pour fabriquer une arme nucléaire » car il s’agit d’une « préoccupation de sécurité très importante pour les Etats-Unis » (sic).
Dans ces conditions, que l’accord soit remis en œuvre ou pas, il semblerait qu’il soit trop tard pour freiner le programme nucléaire iranien à des fins militaires, d’autant que les « clauses de temporisation » doivent expirer en 2031, ce qui emportera levée des restrictions sur les activités nucléaires de l’Iran.
Dès lors, peu importe que les États-Unis cessent de qualifier le Corps des gardiens de la révolution iraniens (CGRI) de terroriste, que le Congrès s’oppose à la renégociation de l’accord nucléaire iranien, que s’arrête le conflit entre la Russie et l’Ukraine….L’Iran est parvenu à un point de non retour.
En somme, la relance de l’accord sur le nucléaire iranien ne fera qu’accélérer un processus, a priori inéluctable. A cet égard, les menaces russes concernant le déclenchement d’une troisième guerre nucléaire n’en sont peut être qu’une anticipation. Quoi qu’il en soit, Blinken reste confiant.
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