Le 6 avril 2022, la députée Idit Silman du Parti Yamina a quitté la fragile coalition formée par le Premier Ministre Naftali Bennett. En effet, l’autorisation donnée, par le Ministre de la santé, Nitzan Horowitz (Meretz) de consommer du pain au levain dans les hôpitaux pendant la période de Pessah (du 15 au 23 avril 2022) l’a révulsée. Pour sa part, Nitzan Horowitz a expliqué s’être juste conformé à une décision de la Cour Suprême sur ce point. La question se pose donc de la conformité de l’idéologie de la Cour Suprême avec le principe de judéité de l’Etat d’Israël, et partant, des pouvoirs qu’elle s’est accordée pour se substituer à la Knesset.
Pessah commémore la fin de l’esclavage des hébreux et leur départ (précipité) de l’Egypte vers la terre promise : lorsque le Ciel a infligé les dix plaies aux égyptiens, les hébreux ont dû quitter Mitsraïm sans avoir le temps de faire cuire le pain. Pessah coïncide également avec la naissance du peuple juif, survenue lorsque les hébreux ont reçu les tables de la Loi. Depuis, la Loi juive interdit la consommation de Hamets pendant les 8 jours de la fête de Pessah (aliments contenant du blé, du seigle, de l’orge, de l’épeautre ou de l’avoine, ainsi que la levure) : seule est autorisée, la consommation de pain azyme ou de gâteaux confectionnés sans farine.
Le principe de la judéité de l’État d’Israël, du respect des traditions religieuses et de leur insertion dans le calendrier hébraïque, s’est posée en 1947 (dès avant la création de l’État) : un accord a, alors, été passé entre laïcs, sionistes et religieux, prévoyant que le Shabbat et les fêtes religieuses seraient reconnus comme jours chômés et que les règles de la cacherout s’appliqueraient au sein des institutions étatiques.
Résultat, depuis le 14 mai 1948, la Loi a progressivement intégré les principes suivants : interdiction des transports publics, le jour de Shabbat, et du Hamets, dans les établissements étatiques, au moment de Pessah.
Depuis 1986, la loi israélienne portant le nom de loi Hamets interdit aux commerçants d’exposer des aliments au levain pendant la fête de Pâque : les grandes surfaces israéliennes doivent donc couvrir les rayons contenant des aliments au levain, gâteaux, biscuits, nouilles, bière… (La seule exception concerne les villes ou les quartiers peuplés majoritairement de personnes non juives).
S’agissant des hôpitaux, le Ministère israélien de la Santé a (en 2015) interdit aux visiteurs d’apporter des produits au levain dans les hôpitaux pendant la durée de la Pâque. Aussi, et pour veiller au respect de cette disposition, le Ministre a préconisé : « Tous les individus – y compris les citoyens non juifs – doivent subir des fouilles strictes aux entrées des hôpitaux. Tous les produits de pain levé trouvés seront confisqués ou détruits ».
Les visiteurs non juifs des hôpitaux ont alors considéré les fouilles comme dégradantes, sentiment partagé par le personnel non juifs (des hôpitaux) à qui il était demandé de retirer des réfrigérateurs, les aliments à base de levain.
En 2018, l’ONG Forum Laïc a déposé un recours devant la Cour suprême israélienne pour obtenir l’annulation de la directive gouvernementale. Elle soutenait que l’interdiction d’apporter des aliments à base de levain dans les hôpitaux, imposait aux non juifs de respecter des règles juives, ce qui était (soi-disant) incompatible dans un État démocratique. La Cour n’a pas fait droit à la demande, mais la colère a commencé à grandir depuis cette date : en 2018, 5 hôpitaux ont décidé d’autoriser le Hamets dans leur enceinte et, en avril 2019, 19 hôpitaux qui ont pris cette décision.
Finalement, le 10 janvier 2021, la Haute Cour de Justice a autorisé les visiteurs de personnes hospitalisées à apporter les produits à base de levain dans les hôpitaux, ce qui a provoqué une vive réprobation des instances religieuses (et, corrélativement, la satisfaction des penseurs libéraux). La Haute Cour avait, d’ailleurs, rejeté une requête du Grand Rabbinat visant à interdire le Hamets dans les hôpitaux pour respecter la foi des personnes juives.
Cette décision de la Haute Cour avait alors provoqué la colère des députés de droite : pour Yaakov Asher (Yahadout Hatorah), les magistrats de la Cour Suprême sont « déconnectés de la réalité », voulant « imposer leurs décisions au nom du libéralisme ». Pour Aryeh Deri (Shas), il est impensable que « les hôpitaux acceptent du Hametz dans leurs enceintes à Pessah » alors que pour Moshe Gafni (Yahadout HaTorah) les juges sont « insolents »… Shlomo Karhi (Likoud) avait alors conclu en prédisant le prochain démantèlement du gouvernement qui se comporte « comme un Parlement qui n’a jamais été élu ».
Le problème s’est essentiellement focalisé sur les fouilles des personnes non juives à l’entrée des hôpitaux : elles seraient absurdes dans un pays démocratique puisque emportant une coercition religieuse aux non juifs (musulmans, chrétiens) et aux laïcs, obligés de respecter les obligations religieuses des personnes juives, en contradiction avec leur droit au respect de la vie privée…
Le problème est, en réalité, celui de la révolution institutionnelle provoquée par la Cour Suprême en 1995. Dans l’arrêt « Bank Mizrahi » (HCJ 6821/93 United Mizrahi Bank v. Migdal 49(4) PD 221), la Cour Suprême est venu poser deux principes révolutionnaires : comme l’État d’Israël n’a pas de constitution, elle a figé le principe selon lequel les Lois fondamentales étaient dotées d’un pouvoir normatif supérieur aux autres lois et, par ailleurs, qu’elle se réservait le droit de contrôler la constitutionnalité des textes législatifs et réglementaires.
Depuis, elle se permet d’annuler des textes qu’elle considère contraires à la Loi fondamentale sur la liberté et la dignité de 1992, voire, institue des droits non prévus dans la Loi fondamentale…Il suffit alors, à un plaignant, d’avancer qu’une disposition légale ou réglementaire violerait la Loi Fondamentale de 1992.
Bien évidemment, le fait pour des personnes non juives de ne pas consommer de Hamets dans les hôpitaux israéliens pendant la période de Pessah n’est pas un problème. Mieux, c’est la (maigre) contrepartie de la chance (inouïe) qu’elles ont de pouvoir être soignées en Israël, par des professionnels exceptionnels, et ce, à un moindre coût : les personnes d’origine arabe se rappellent alors que dans les États arabes, il est impossible de se faire soigner dans de telles conditions et qu’elles préfèrent souvent se faire soigner dans des pays occidentaux. Pour les laïcs, cette pseudo privation leur rappelle la dimension transcendantale que constitue l’État d’Israël pour le peuple juif. Enfin, le personnel non juif réalise la chance qu’il a de travailler dans un hôpital israélien. Notons, toutefois, que s’ils désirent vraiment consommer du Hamets pendant la période de Pessah, les patients d’origine arabe peuvent toujours essayer de se faire soigner dans des pays arabes.
En tout état de cause, les fondements institutionnels de l’État juif ne sont pas à géométrie variable : la Cour Suprême est donc tenue de les respecter, notamment la Loi fondamentale du 19 juillet 2018 qui a fait d’Israël l’État Nation du Peuple juif.
La Cour Suprême pourra alors comprendre que l’interdiction du Hamets dans les hôpitaux (pendant 8 jours) n’est ni discriminatoire pour les personnes non juives, ni attentatoire à leur dignité, juste un souvenir des fondations de l’État d’Israël.
Il ne s’agit pas que de fouilles. A partir du moment où du levain est introduit dans l’enceinte de l’hôpital et que tous les ustensiles cashers de vaisselle servis sont en contact avec ce levain..Outre le problème de libertés publiques, se pose aussi dans une société, le respect des coutumes. Malheureusement aujourd”hui prévaut le principe de : je fais ce que je veux ..
Démocratie ou théocratie… il faut choisir.