Israël possible médiateur dans le conflit Russie Ukraine ?

Publié par

Israël possible médiateur dans le conflit Russie Ukraine ?

Le 5 mars 2022, le Premier Ministre Naftali Bennett a rencontré le Président Vladimir Poutine à Moscou pour évoquer le différend qui oppose la Russie et l’Ukraine (le président ukrainien Zelensky lui en avait fait la demande, le 25 février 2022). Ce rôle israélien de médiateur dans le conflit n’est pas nouveau : lorsqu’il dirigeait le gouvernement israélien, Benyamin Netanyahou avait déjà évoqué, avec Vladimir Poutine, les conditions d’un règlement pacifique du différend. Aussi, et grâce à ses relations privilégiées avec chacune des parties, Israël pourrait bien devenir l’acteur clé d’une solution négociée et ainsi, éviter un embrasement de la situation.

La Russie fait, actuellement, l’unanimité contre elle. Ses mesures, disproportionnées à l’égard de l’Ukraine, provoquent une grande émotion au sein la communauté internationale qui prend fait et cause pour le plus faible. Pour autant, la question est bien de trouver un arbitrage entre deux principes internationaux de base : l’intégrité territoriale de l’Ukraine et le droit du peuple russophone ukrainien à disposer de lui-même. Or, l’opposition ukrainienne à la revendication indépendantiste des populations du Donbass et d’autres régions (alors que le principe en avait été acté lors de la signature du protocole de Minsk en 2014), a provoqué l’ire de Moscou. C’est bien cette contradiction qu’il convient de résoudre.

Le 27 février 2022, Naftali Bennett s’est entretenu avec les présidents ukrainien et russe, Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine. Moscou ne serait pas opposé à l’organisation de négociations au Belarus (même si, pour l’heure, la Russie s’installe dans un rapport de force pour obtenir la capitulation de l’Ukraine), alors que, pour sa part, l’Ukraine a choisi Istanbul, Varsovie, Bratislava, Budapest ou Bakou. L’implication d’Israël pourrait bien être déterminante pour harmoniser les positions.

Israël et la Russie partagent une même conception nationaliste de la gestion étatique. D’ailleurs, le Likoud a toujours noué des liens étroits avec les responsables politiques proches de la ligne idéologique identitaire (Donald Trump, le brésilien Air Bolsonaro, le hongrois Victor Orban, ou encore le polonais Mateusz Morawiecki). Pour sa part, Benjamin Netannyahou s’était lui-même présenté sur les affiches électorales, serrant la main du Président russe, mais également de Donald Trump.

Les liens très forts entre les deux pays résultent également de la forte communauté de juifs russes  en Israël. Lors de la visite du ministre israélien des Affaires étrangères Avigdor Liebermann (en juin 2009), Vladimir Poutine a rappelé qu’ils étaient attachés à leurs racines : « Je suis heureux que les gens de l’Union soviétique aient construit des carrières politiques aussi brillantes en Israël. C’est quelque chose qui nous unit d’une manière qui ne ressemble à aucun autre pays ». Rappelons enfin que, dans le passé, Poutine s’est rendu à plusieurs reprises à Jérusalem pour rencontrer Benjamin Netanyahou afin d’obtenir la rétrocession de propriétés appartenant à l’Église orthodoxe russe (églises et monastères).

Il n’est donc pas possible, pour Israël, de s’associer aux sanctions prises contre la Russie ni même la froisser, compte tenu de leur communauté d’intérêts, notamment en Syrie, où l’équilibre des forces est parfaitement géré par Moscou. Des sources militaires israéliennes ont admis l’existence d’une coordination autorisant Israël à attaquer les intérêts iraniens à Damas. Aussi, et bien que disposant de bases militaires en Syrie (une base navale à Tartous, et la base aérienne de Khmeimim à Lattaquié), la Russie n’est jamais intervenue lors des centaines de frappes de Tsahal sur des cibles iraniennes ou sur le Hezbollah en Syrie, ni utilisé les performants S-400. Mieux, Poutine a interdit à l’armée syrienne d’utiliser des batteries de défense aérienne S-300 contre des jets israéliens (alors même qu’il en est le vendeur).

Dans ses relations avec les États-Unis, Israël a empêché le transfert du système de défense Dôme de Fer à l’Ukraine en 2021, et ce, dans le but de préserver ses liens avec la Russie.

Dès lors, l’establishment militaire et diplomatique israélien se trouve dans l’incapacité de s’associer aux condamnations internationales des opérations russes en Ukraine, ou d’imposer (de manière générale) des sanctions aux entreprises, banques et oligarques russes, implantées en Israël. Enfin, Jérusalem a opposé une fin de non-recevoir aux demandes d’aides militaires sollicitées par Kiev.

A ce jour, les États-Unis sont courroucés par l’attitude israélienne : l’ambassadrice des États-Unis à l’Onu, Linda Thomas Greenfield n’a pas apprécié qu’Israël refuse de voter la résolution condamnant la Russie à l’Assemblée Générale. En effet, Israël ne s’est pas joint aux 87 pays soutenant une résolution dirigée par les États-Unis condamnant l’invasion russe de l’Ukraine au Conseil de sécurité de l’ONU. Il a juste a voté en faveur d’une résolution de l’Assemblée générale condamnant l’agression russe, le 28 février. De même, le Trésor américain a invité Israël à ne pas protéger les oligarques russes (ayant adopté la citoyenneté israélienne) tentés de placer des fonds dans les banques israéliennes et qui ont, dans le passé, opéré en Israël comme dans un paradis fiscal (le 24 février 2022, le ministre israélien des Affaires étrangères, Yair Lapid, a toutefois invité les ministres du cabinet à ne pas aider certains oligarques juifs russes visés par les sanctions internationales).

Certes, et au-delà des bonnes relations, il est vrai que la Russie est en mesure d’exercer des pressions sur l’État hébreu dans le domaine énergétique ou devant le Conseil de sécurité de l’ONU, lorsqu’elle a fait état de « l’occupation israélienne des hauteurs du Golan » (en février 2022)…

Le Premier ministre israélien Naftali Bennett n’est pourtant pas insensible à la situation vécue par les Ukrainiens. Il a donc naturellement fait part d’une véritable empathie à leur égard. D’ailleurs, et au-delà du côté humain, il existe une véritable proximité vis-à-vis de Kiev : l’Ukraine est partenaire d’Israël dans les domaines agricole et technologique. L’Ukraine comprend également une importante communauté juive de plusieurs dizaines de milliers d’âmes. Enfin, Volodymyr Zelensky a fait part de son souhait de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël.

Pour autant, s’agissant d’Israël, il y existe un autre impératif : éviter que les évènements en Ukraine ne s’éternisent. L’Iran est sur le point de se rapprocher du point de non-retour s’agissant de ses capacités nucléaires à des fins militaires. Or, l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique a indiqué vouloir relancer l’accord conclu à Vienne en 2015 (dont les États-Unis s’étaient retiré en mai 2018).

Le Directeur général de l’AIEA est arrivé le 5 mars 2022 à Téhéran dans l’objectif de résoudre les questions en suspens concernant, notamment, la présence de matières nucléaires non déclarés  au sein des sites (que l’Iran n’a pas déclarés), de nature à lui permettre de se doter de la bombe atomique.

Il ne faudrait donc pas que la guerre insensée que Moscou mène en Ukraine ne soit un moyen d’occulter les questions sécuritaires fondamentales vis-à-vis de l’Iran qui s’est juré de détruire Israël. L’État juif a donc un rôle à jouer dans la résolution du conflit Russie-Ukraine pour sauver des vies et trouver un équilibre, mais également pour éviter la passation d’accords internationaux avec l’Iran qui seraient irréversibles.

Par Maître Bertrand Ramas-Muhlbach

Un commentaire

Laisser un commentaire