Vers une normalisation des relations Israël-Turquie ?

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Les 9 et 10 mars 2022, le Président israélien Isaac Herzog et le Président turc Recep Tayyip Erdoğan doivent se rencontrer à Ankara, pour officialiser la reprise de leurs discussions et, selon toute vraisemblance, rapidement normaliser les relations entre les deux pays. Si les parties doivent encore résoudre quelques points de discorde  (notamment pour ce qu’il en est des relations entre Israël et les palestiniens), l’intervention russe en Ukraine ne devrait pas remettre en cause le calendrier.

 

Des responsables turcs et israéliens se rencontrent à Jérusalem le 17 février 2022 pour préparer la prochaine visite du président Isaac Herzog en Turquie. (Courtoisie)

Le porte-parole de la Présidence turque, Ibrahim Kalin et le vice-ministre turc des Affaires étrangères, Sedat Onal, viennent d’achever une visite en Israël et dans les territoires sous contrôle palestinien. Ils ont été reçus par le Président de l’Autorité Palestinienne à Ramallah, le 16 février 2022, avant de rencontrer, le lendemain, le Directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères, Alon Ushpiz, et le Directeur général du bureau de la Présidence israélienne, Eyal Shviki.

 

Ibrahim Kalin a confirmé que la visite avait été fructueuse, même s’il a précisé que certains problèmes prendront du temps avant d’être résolus. A l’écoute des préoccupations des palestiniens et des israéliens, il s’est dit favorables à l’entreprise de démarches pour résoudre le différend et assurer la paix et la stabilité dans la région.

Rappelons, qu’Israël et la Turquie coopèrent depuis de nombreuses années dans de vastes  domaines, économique, technologique, militaire (accords de février et août 1996 pour l’ouverture de l’espace maritime et terrestre pour les opérations militaires), touristique, culturel, eau, et, plus récemment, celui du Gaz avec la proposition turque de participer au projet de Gazoduc en méditerranée orientale.

Certes, les relations entre les deux pays ont été ternies, en mai 2010, lors de l’arraisonnement du navire Mavi Marmara qui tentait percer le blocus de la bande de gaza. 9 militants turcs avaient alors été tués, conduisant Israël à présenter ses excuses et indemniser les familles turques. Pour autant, les relations entre les deux pays se sont naturellement poursuivies, et concrétisées par des dizaines de vols d’avion quotidiens entre les deux pays.

Israël a toujours subordonné la normalisation des relations entre les deux pays à une condition : l’éviction, par la Turquie, de tous les terroristes Hamas qui s’y abritent.

Or, la Turquie a accédé à cette revendication. Le gouvernement d’Erdoğan négocie  (depuis plus d’un an et demi) avec plusieurs pays pour les expulser. Il en a notamment été ainsi du responsable Hamas des opérations terroristes Cisjordanie, Saleh Al-Arouri qui a quitté Ankara et se déplace (secrètement) entre Téhéran, Beyrouth et Doha.

Plus précisément, et s’agissant de la lutte contre le terrorisme, Erdogan s’implique plus énergiquement : il a tout d’abord mis un terme aux activités des « Frères Musulmans Egyptiens » dans le pays et stoppé les chaines de télévision d’opposition égyptiennes installées à Istanbul. Désormais, il procède de la même façon en évinçant le Hamas et les terroristes qui se trouvent encore sur son sol.

En tout état de cause, il convient de rappeler que le soutien turc aux terroristes du Hamas est toujours resté symbolique : contrairement à l’Iran, au Hezbollah, à la Syrie qui ont toujours livré des armes au Hamas, et à l’Egypte (lorsqu’elle était dirigée par Mohamed MORSI) qui n’a jamais été regardante sur la contrebande d’armes dans le Sinaï au profit de l’organisation terroriste, la Turquie n’a jamais financé ni livré d’armes aux Hamas.

Plus récemment, Erdogan a réalisé l’échec de l’Islam politique (qui était pourtant au cœur de son programme électoral lorsqu’il a remporté les élections en 2014). Il préfère donc se rapprocher de pays qui le condamnent comme l’Egypte, les Emirats Arabes Unis, et bien évidemment Israël (et peut être prochainement, l’Arabie Saoudite), même s’il s’agit pour le Président turc d’assurer sa survie politique.

En tout état de cause, Israël et Turquie se rejoignent également sur la position à adopter face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie : tous deux l’ont vivement condamnée sans pour autant vouloir provoquer de rupture dans leur relation avec Moscou.

Le ministre israélien des affaires étrangères Yair Lapid a déclaré se ranger du côté des États-Unis, tout en souhaitant conserver des relations courtoises avec la Russie. D’ailleurs, Moscou n’est jamais intervenu lors des nombreuses frappes israéliennes menées en Syrie, même lorsqu’elles ont visé le port de Lattaquié, situé à proximité de la base aérienne russe Hmeimim.

La bienveillance russe à l’égard d’Israël est certainement liée à l’importance de sa population d’origine russe, en l’occurrence, 1 millions d’entre eux (de confession israélite) ayant émigré en Israël dans les années 90. Un colonel russe s’est d’ailleurs expliqué sur la raison pour laquelle la Russie n’intervenait pas lors des incursions israéliennes en Syrie ni n’autorisait l’armée syrienne à utiliser les missiles S-300 pour les repousser : « Nous ne sommes pas dans un état d’hostilité avec Israël. Nous ne sommes pas allés en Syrie pour le combattre, mais pour combattre les terroristes ».

De la même manière, la Turque a toujours entretenu de bonnes relations avec la Russie. Si la Turquie a livré des drones à l’Ukraine, dans ses combats avec les séparatistes du Donbass (soutenus par Moscou) en 2019, elle a fait choix de s’équiper de missiles russes S-400 (contre l’avis de l’Otan). Résultat, elle s’est vue empêcher d’acquérir des avions F 35 américain.

Sur le plan commercial, la Turquie se fournit auprès de la Russie en gaz (60 % de la consommation), mais aussi en céréales. De même, c’est la société russe Rosatom est en charge de la construction de la première centrale nucléaire de Turquie (qui devrait être opérationnelle en 2023). Enfin, les russes représentent la plus grande population touristique de la Turquie.

Pour autant, Ankara est toujours restée très libre dans ses relations, tant avec la Russie qu’avec l’occident : La Turquie fait partie de l’Otan et accueille une base américaine à Incirli. Elle n’a jamais reconnu l’annexion de la Crimée par la Russie et, en 2015, un avion russe a même été abattu par deux chasseurs turcs à la frontière turco-syrienne. Sa proximité de l’occident ne l’a toutefois pas empêché de signer, en 2017, un traité avec la Russie et l’Iran pour la mise en place de zones de « désescalade » et de « de sécurité » en Syrie.

De même, et concernant l’Ukraine, la Turquie a toujours défendu le principe de son intégrité territoriale, ce qu’elle a confirmé à la Russie, le 23 février 2022. Pour elle, la solution doit être trouvée sur la base des accords de Minsk (signés entre Kiev et les séparatistes en 2014 et 2015), lorsque les combats avaient causé la mort de 14 000 personnes. En harmonie dans leur conception des relations internationales, Israël et Turquie devraient rapidement pouvoir normaliser leurs relations diplomatiques et afficher au monde des relations apaisées.

 

Par Maître Bertrand Ramas-Muhlbach

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