Les mêmes intérêts rapprochent les ayatollahs d’Iran et les Talibans »

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Mahnaz Shirali Politiste, spécialiste de l’Iran, autrice du livre « Fenêtre sur l’Iran, le cri d’un peuple bâillonné » Mahnaz Shirali est sociologue politique, directrice d’études à l’ICP, enseignante à Science-Po Paris et auteure de plusieurs livres sur l’Iran.    

TRIBUNE –

La volte-face des ayatollahs est spectaculaire. Les nouvelles positions des dirigeants de Téhéran ont choqué, aussi bien les Iraniens que les réfugiés afghans qui vivent en Iran.

– VIA TASNIM NEWS/AFP VIA GETTY IMAGES
Le 31 janvier 2021, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif (à droite) a rencontré le mollah Abdul Ghani Baradar des talibans (au centre) à Téhéran. (Photo by -/TASNIM NEWS/AFP via Getty Images)
  Lorsqu’en janvier 2021, le mollah Baradar, le chef politique des Talibans, se rend à Téhéran pour rencontrer le ministre iranien des affaires étrangères, Javad Zarif, les réfugiés afghans sentent le danger et manifestent dans les rues de Téhéran. Les ayatollahs ont toujours entretenu des relations de complicité avec les groupes extrémistes islamistes de la région. Cela fait plusieurs décennies que Téhéran finance aussi bien les groupes chiites que les sunnites: du Hamas au Hach al-Chaabi, en passant par les Houthis du Yémen, Al-Qaïda, etc. Mais ces relations restaient dans l’ombre sans jamais apparaître au grand jour. Les dirigeants de Téhéran avaient mis les Talibans sur leur liste des groupes terroristes et malgré tous les soutiens financiers et logistiques qu’ils leur apportaient, ils leur refusaient leur reconnaissance officielle.
 
Les ayatollahs ont toujours entretenu des relations de complicité avec les extrémistes islamistes de la région. Téhéran finance aussi bien les groupes chiites que sunnites.
  La volte-face des ayatollahs est pour le moins spectaculaire. Tout commence en décembre 2020, avec l’annonce d’Ahmad Naderi, député au parlement iranien: “les Talibans constituent un mouvement ‘noble’ dans la région”.
Du jour au lendemain, les ayatollahs se sont mis à faire les louanges des Talibans, en les considérant comme les soldats d’Allah engagés dans la guerre sainte contre les envahisseurs étrangers, c’est-à-dire les Américains, le grand Satan. Le temps n’est plus au mépris de l’islam des Talibans comme un produit “made in USA”, mais à sa glorification. Les ayatollahs ont accordé le titre de “martyrs” aux Talibans tués au combat, même à ceux qui se sont fait exploser dans les écoles primaires et dans les fêtes de mariages, en massacrant les civils innocents. Le blanchiment des Talibans va aller jusqu’à l’annonce par le ministère iranien de la guidance islamique qu’il est désormais interdit aux journalistes iraniens d’utiliser des termes comme “sauvagerie” ou “massacre” pour décrire les événements perpétrés par les Talibans en Afghanistan. Alors que les souvenirs des guerres sanglantes et des tueries des Talibans sont encore très présents dans les esprits, les nouvelles positions des dirigeants de Téhéran ont choqué aussi bien les Iraniens que les réfugiés afghans vivant en Iran. Les deux groupes se sont mis à vilipender l’accord des ayatollahs avec les Talibans, sans que cela n’arrive aux oreilles des ayatollahs.  
Les ayatollahs applaudissent ces Talibans qui ont réussi à mettre à genoux la plus grande puissance mondiale, à les humilier et à « libérer » leur pays.
  Ce n’est pourtant pas la première fois que la République islamique s’allie aux groupes salafistes. Leurs visions de l’islam, malgré toutes les différences, ont une forte composante idéologique, une idéologie de combat qui va au-delà du clivage chiite/sunnite. Désormais rien n’est caché: l’ayatollah Khamenei dit à haute voix avoir réussi à réaliser un gouvernement islamique, ce qui était le rêve de Sayed Qutb, le fondateur des Frères musulmans en Égypte. Ce sont les mêmes intérêts politiques, idéologiques, économiques qui rapprochent les ayatollahs aux Talibans. Les deux affichent aujourd’hui leur complicité et s’érigent contre leurs ennemis communs: les Américains. Les ayatollahs applaudissent ces Talibans qui ont réussi à mettre à genoux la plus grande puissance mondiale, à les humilier et à « libérer » leur pays. Pourtant, les ayatollahs ne ressemblent pas aux Talibans. Ils ont toute la richesse d’un pays pétrolier à leur disposition, alors que les Talibans n’ont que les recettes du trafic d’opium. Les ayatollahs ont une large expérience politique, longue de plusieurs siècles de leur présence dans les cours des Safavides et des Qajars –certes une expérience traditionnelle de politique, mais expérience politique quand même–, les Talibans ne sont que des soldats, particulièrement sauvages.  
Avec les ayatollahs, les Talibans vont rapidement apprendre comment se comporter devant la communauté internationale.
  On peut cependant compter sur les ayatollahs pour apprendre leur savoir-faire à leurs amis Talibans et leur conseiller de ne traîner pieds nus, de porter des costumes, d’apprendre à parler anglais et de sourire aux journalistes, comme le faisait Javad Zarif, le ministre des affaires étrangères iranien. Ils vont leur apprendre qu’il ne faut pas tuer les innocents devant les caméras, qu’il est préférable d’organiser des procès fictifs selon la charia, puis d’exécuter en toute légalité. Les ayatollahs vont leur dire qu’il n’est plus à l’ordre du jour de lapider les femmes mais qu’il est bien plus efficace de leur donner de lourdes peines de prison. Très vite, les Talibans vont comprendre qu’il vaut mieux ne pas égorger les opposants au vu et au su de tous, mais qu’il est préférable d’organiser des assassinats crapuleux ou de les kidnapper et de les éliminer en douce.
Il est évident qu’avec les ayatollahs, les Talibans vont rapidement apprendre comment se comporter devant la communauté internationale.
ÉDITIONS LES PÉRÉGRINES
“Fenêtre sur l’Iran – Le cri d’un peuple bâillonné” de Mahnaz Shirali, éditions Les Pérégrines, sortie 22 avril 2021, 300 pages, en savoir plus ici huffingtonpost.fr
 

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