La chute rapide de l’Afghanistan et la façon dont la rapidité de cet effondrement a choqué les responsables politiques et militaires américains, ainsi que les experts de divers groupes de réflexion, sont symboliques d’un défi plus vaste auquel les États-Unis sont aujourd’hui confrontés.
Après l’Afghanistan, les États-Unis devront rassurer leurs alliés et partenaires que cela restera une situation isolée dans le monde. Alors que les responsables américains parlent de «guerres éternelles» et de gaspillage de «trésor» dans le monde, la suite des choses suscite des inquiétudes.
C’est particulièrement vrai au Moyen-Orient où les partenaires et alliés des États-Unis se demandent si les États-Unis ne voient leurs pays ici que comme des « intérêts ». Le discours selon lequel les États-Unis adoptent une ligne plus dure à l’égard de l’Arabie saoudite et de l’Égypte, deux pays qui formaient autrefois un pilier de la politique étrangère américaine, alimente les préoccupations.
Le soutien américain aux accords d’Abraham est également une question qui taraude l’esprit de bien des signataires. La nouvelle administration américaine n’appellera même pas les accords de paix israéliens signés par leur nom, mais elle a publié des messages louant la normalisation qu’Israël entretient maintenant avec les États du Golfe et le Maroc.
Les inquiétudes concernant le rôle des États-Unis en Irak et en Syrie sont également dans l’esprit des gens. L’Afghanistan érodera-t-il davantage la confiance en Washington et ses prétentions à rester attaché à la région ?
De grands plans sur la comète qui débouchent sur un vide sidéral
Les États-Unis ont une longue expérience d’intervention dans divers pays au cours des dernières décennies. Ces conflits, appelés « petites guerres » ou « guerres longues », avaient tendance à être le résultat de la fin de la guerre froide et du 11 septembre. Cela signifie que les États-Unis ont pratiqué l’intervention humanitaire et l’édification des nations, puis sont passés à empêcher (selon leurs déclarations) l’Irak d’acquérir des armes de destruction massive et à mener une guerre mondiale contre le terrorisme. Une grande partie de ces objectifs s’est avérée être un mythe, comme on y assiste en Afghanistan.
Au-delà de grandes déclarations, les coalitions mobilisées n’ont pas construit ce type de nations clé-en-main. Partout où les États-Unis sont intervenus, les pays sont généralement devenus des état faillis, c’est-à-dire de véritables catastrophes chaotiques, pauvres, hobbesiennes.
Une impuissance partagée à rétablir un semblant d’ordre mondial?
De l’Irak à la Syrie, de l’Afghanistan à la Somalie, d’Haïti au Panama, les États-Unis ont envoyé des forces dans de nombreux endroits et ces contrées ne se sont généralement pas améliorées par la suite, au contraire. Cela n’est peut-être pas dû à l’intervention des États-Unis, les interventions ont peut-être simplement été un symptôme d’un ordre mondial chaotique, de la montée de l’extrémisme et d’espaces non gouvernés.
Par exemple, le chaos en Libye aujourd’hui n’est peut-être pas la faute de l’intervention. Le chaos au Yémen ne peut pas non plus être imputé aux États-Unis, mais les États-Unis en sont un facteur déterminant et leur mauvaise gestion apparente, ou leur tentative ratée de construire des forces de sécurité locales, soulève de nombreuses questions. Où était l’armée de l’air afghane au cours du dernier mois et demi?
Le président américain Joe Biden a déclaré en juillet que l’armée afghane comptait 300 000 soldats « aussi bien équipés que n’importe quelle armée du monde » et qu’elle disposait d’une force aérienne. Mais l’armée de l’air était composée d’une poignée d’hélicoptères. En général, les États-Unis n’ont pas légué une véritable armée de l’air à des pays aussi instables.
Les images des provinces afghanes montrent la pauvreté et la négligence. Vingt ans n’ont pas donné grand-chose, semble-t-il. Les Américains se demandent où sont passés les milliards de dollars. Ils voient cela comme un autre exemple que Washington a été induit en erreur ou -ce qui revient au même- les a induit en erreur. Ils veulent que l’argent soit dépensé chez eux pour l’infrastructure.
Les pays sont-ils des poches d’intérêts provisoires?
L’Amérique ne parle pas seulement davantage d’isolationnisme, un thème qui traverse l’histoire des États-Unis mais qui a gagné du terrain sous le slogan de l’administration Trump « rendre sa grandeur à l’Amérique ». La gauche et la droite américaines ont tendance à convenir qu’il est temps pour les États-Unis de se replier sur eux-mêmes et que la politique étrangère doit se concentrer étroitement sur leurs uniques intérêts.
Est-ce dans notre intérêt ? Que faisons-nous et pourquoi le faisons-nous? Ce sont des questions qui se posent. Au fur et à mesure qu’on se pose ces questions, les États-Unis semblent se débarrasser l’un après l’autre de leurs partenaires, ou du moins les avertir que le temps presse. Prouvez-nous que vous collez parfaitement dans notre intérêt, ou on en termine entre nous, tel est le message.
Quand Washington joue à quitte-ou-double avec les Kurdes et la Turquie
Cela s’est produit dans l’est de la Syrie en 2018 et 2019. Poussé en partie par des éléments pro-turcs du département d’État américain qui voulaient mettre fin aux efforts américains en Syrie, en désaccord avec le commandement central américain, la politique américaine a fini par se mettre en retrait partiel. Des djihadistes génocidaires soutenus par Ankara ont envahi des zones que les États-Unis avaient aidé à sécuriser avec les Forces démocratiques syriennes. Ces partenaires des FDS avaient contribué à libérer Raqqa de l’Etat islamique. Mais les responsables américains ont qualifié le partenariat de « temporaire, tactique et transactionnel ».
Même aujourd’hui, il est possible que les États-Unis quittent l’est de la Syrie s’ils ne voient pas se réaliser des progrès sans nom. Cela met les gens à cran, comme l’étaient les habitants de Kaboul, qui se demandent ce qui va suivre et qui couvrent leurs paris. Les États-Unis appellent cela des « intérêts », mais il n’est pas clair de comprendre pourquoi céder une zone à des ennemis jurés des Américains serait, in fine, dans l’intérêt des États-Unis. Le capital politique consistant à faire confiance aux peuples et à s’appuyer sur Washington est important mais est en train d’être gaspillé.
En Irak, les États-Unis sont confrontés au même problème. Les amis et partenaires des Américains s’évaporent ou couvrent leurs paris. Dans la région du Kurdistan, qui a vu le jour en partie avec le soutien aérien des États-Unis dans les années 1990, il y a beaucoup de craintes que les États-Unis ne restent pas. Des milices pro-iraniennes ont pris pour cible Erbil, l’Etat islamique se réorganise toujours et la Turquie bombarde certaines zones.
Négociations parallèles en cas de désistement américain
Pendant ce temps, dans le Golfe, on craint également que les États-Unis ne soutiennent pas suffisamment les accords d’Abraham. Il semble qu’il y ait maintenant des discussions sous couverture à Riyad en vue de pourparlers avec l’Iran. L’Arabie saoudite fait face aux Houthis soutenus par l’Iran au Yémen. Il peut chercher à trouver un accord. L’Égypte pourrait également modifier ses perspectives, cherchant à jouer un rôle plus important dans la Corne de l’Afrique. Le Soudan est peut-être en train de rafistoler les choses avec la Turquie car il a demandé plus de soutien après avoir également accepté des relations avec Israël. Mais il a besoin d’investissements.
Les États-Unis parlent davantage ces jours-ci d’adversaires « presque équivalents den puissance » et d’un désir d’affronter la Russie et la Chine. Cependant, de nombreux pays se demandent quels engagements les États-Unis tiennent en retour lorsqu’ils demandent à des amis et partenaires de les aider dans cette rivalité.
Quel “intérêt” à aider l’Amérique contre la Russie et la Chine?
Lorsque les États-Unis refusent même de considérer les pays comme des alliés, mais les appellent des « intérêts » et leur demandent ensuite d’aider dans la confrontation avec la Russie et la Chine, de nombreux pays se demandent ce qui se passe lorsque les États-Unis changent de politique et que les « intérêts » ne s’alignent plus avec les leurs. Ces pays se demandent s’il est dans leur « intérêt » d’affronter la Chine ou la Russie, ou l’Iran.
Cela n’est pas sans conséquences pour Israël, parce qu’Israël se considère comme un proche allié des États-Unis. La relation américano-israélienne s’est également développée ces dernières années et les entreprises de défense israéliennes sont désormais des leaders mondiaux de la technologie, de l’intelligence artificielle aux drones, radars, optiques, missiles, défense aérienne et nacelles de ciblage.
La high-tech militaire israélienne tire son épingle du jeu
Les entreprises israéliennes s’associent à leurs amis américains et à une variété de projets. C’est vrai maintenant dans la façon dont Rafael Advanced Defense Systems travaille avec Raytheon, par exemple. En juillet, Lockheed Martin et Israel Aerospace Industries (IAI) ont annoncé avoir conclu un protocole d’accord qui fera partie d’un accord stratégique pour travailler ensemble sur la défense aérienne. Elbit Systems fournit des casques pour les F-35. Tout cela est très important.
En apparence, les relations israélo-américaines sont les meilleures de tous les temps. Il y a plus d’exercices communs que par le passé. Les responsables américains rencontrent fréquemment leurs homologues israéliens. Cela signifie que la débâcle en Afghanistan n’a pas de conséquences immédiates. En fait, une empreinte américaine plus petite et moins de bases américaines signifient ostensiblement que les États-Unis ont plus besoin d’Israël que par le passé.
Un Israël plus fort n’est plus seulement dans l’intérêt des États-Unis, mais joue un plus grand rôle dans la région. C’est vrai aussi parce qu’une grande partie de la région est composée d’États faibles ou défaillants, ou de lieux occupés par des supplétifs iraniens. Israël est assis aux portes du Liban, qui est en faillite, et à la frontière avec la Syrie, où le conflit et le morcellement des territoires se poursuivent.
Les États-Unis ont une base à Tanf près de la frontière jordanienne, non loin d’Israël et bien que les bases américaines au Qatar, à Bahreïn et aux Émirats arabes unis ne fassent aucun doute, on se demande à quel point les États-Unis restent proches de Riyad et du Caire ces temps-ci. Pendant ce temps, Israël et les Émirats arabes unis entretiennent des relations étroites avec la Grèce et l’Inde, des pays avec lesquels les États-Unis travaillent également.
La grande question après l’Afghanistan est de savoir comment les États-Unis montreront qu’ils sont vraiment attachés à la stabilité et à la sécurité, que ce soit au large de Taiwan ou sur les côtes d’Oman, où un drone iranien a récemment attaqué un navire.
Qui d’autre a été aussi bien formé que l’armée afghane (ou irakienne en 2014 face à Daesh)?
Les pays testent la détermination des États-Unis. Les États-Unis semblent être dans une impasse après la débâcle de Kaboul. Comment 300 000 soldats afghans se sont-ils volatilisés ? Était-ce une armée fantôme ? Et si c’était le cas, qu’est-ce que cela indique sur la valeur de la formation américaine des forces irakiennes et des forces de sécurité palestiniennes, cette instruction étant effectuée par l’USSC ou ce qu’on appelait autrefois « l’armée de Dayton ».
Le rival iranien se cherche des patentes régionales
Si l’Autorité palestinienne fait face à des défis, les forces de sécurité palestiniennes seront-elles à la hauteur ? Et que deviennent la Syrie orientale et les FDS, une autre force clé que les États-Unis ont aidé à soutenir ? C’est important parce que des ennemis, comme l’Iran, veulent s’installer dans n’importe quel vide de pouvoir dans la région et s’y enraciner en profondeur.
Nous savons à quoi ressemble de telles implantations iraniennes dans des endroits comme le Liban, cela tourne à l’opération en faillite. Les États-Unis doivent rassurer leurs alliés qu’ils resteront fidèles à la région en cette période difficile.
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