« Or tous deux étaient nus…,
l’homme et sa femme, et ils n’avaient point honte[1] » (Genèse II, 25 ; III, 1-6). Ce récit de la rencontre entre l’homme et la femme se passe au jardin d’Eden. Ils sont déjà différenciés par le fait d’être nommés homme et femme puis Adam et Eve, autre différence patronymique, mais ils ne sont pas encore trop marqués par la différence des sexes. Celle-ci adviendra, via la sexualité, après qu’ils eurent mangé les fruits de l’arbre de la connaissance. Autrement dit, après avoir goûté au savoir sur la vie et la mort, par la sexualité. Une fois le fruit consommé, c’est-à-dire le marquage destinal et pulsionnel par la sexualité, voilà que la différence des sexes les inscrit désormais comme nettement différents car ils se couvrent alors de feuilles de figuiers pour se faire des tuniques de peau (Genèse, III, 7-15) Ce n’est pas pour rien que le serpent, animal phallique qui incarne le désir, a poussé à cette transgression, laquelle fera chuter Adam et Eve d’un monde paradisiaque a-humain.
Entendons : un monde d’avant la castration, une pure jouissance : jouir par tous les sens. Ainsi, ils chuteront de ce paradis après quoi ils connaitront comme il est écrit, le bien et le mal, mais aussi la vie mortelle, l’humaine condition des hommes et des femmes sur cette terre… Autrement dit, encore la castration : la limitation du moi. Cette nouvelle donne a donc un prix, le marquage par la différence des sexes du destin de l’homme et la femme. Un destin qu’ils peuvent mettre en commun, par exemple, en formant un couple, mais qui sera différent selon qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre. Le Texte est un peu rude. Ainsi, à cause du serpent-désir, la femme sera destinée à enfanter et l’homme à travailler (Genèse III, 16-21). Même si aujourd’hui leur statut a heureusement évolué, il fallait bien au départ de la construction de l’homme et de la femme qu’il y ait cette répartition-là pour que la lignée humaine commence… C’est qu’il n’y a pas de descendance sans reproduction…
Un peu de psychanalyse mais pas trop !
Ce petit rappel biblique indique que la Genèse avait déjà pointé l’importance de la différence des sexes dans la destinée humaine. Elle a été conceptualisée par la psychanalyse pourtant laïque et athée par définition, quand elle a abordé l’ontogenèse, édifiée en partie autour de cette différence des sexes, via la castration et l’Œdipe. Les féministes et les adeptes du genre les plus raides dans leurs revendications en contestent l’importance car ces moments structuraux marquent de façon nette la différence entre l’homme et la femme, celle-là même qu’ils veulent annuler.
Non pas que le premier soit supérieur à la seconde, mais différent, ce que les féministes et autres « genrés » contestent car le propre de la jouissance vise justement à se passer de ce qui l’encombre, à savoir, la castration et donc, la différence des sexes.
La psychanalyse est aussi une affaire de nomination, de symbolisation. Ainsi, le féminin de l’homme n’est pas « l’hommée » mais la femme : un signifiant particulier à chacun les différencie… Car, en plus de la différence entre les corps de l’homme et de la femme, il y a une différence dans leur construction psychique, marquée par la castration et l’Œdipe. Et oui, toujours eux ! D’ailleurs, je n’écris pas elle et lui, mais eux ! Nous pourrions aller plus loin en écrivant que l’Œdipe se vit bien différemment selon que l’on est un petit garçon ou une petite fille…Nous pourrions encore préciser bon nombre de différences entre l’homme et la femme que les féministes et autres « genrés » voudraient bien effacer y compris dans l’écriture qui a magistralement relayé cette question…
L’acte d’écrire ou lire est en rapport étroit entre l’enfant et le corps de sa mère…Je résume un peu cette formule du psychanalyste Jean Bergès[2] (1928-2004) qui écrivait que les problèmes de dyslexie, de dysorthographie chez les enfants pouvaient provenir d’une rivalité entre la maîtresse ou le maître, et la mère de ces enfants. Les premiers s’essayaient à faire acquérir à l’enfant les rudiments de l’écriture laquelle rencontrait chez lui des obstacles, car il restait dans une proximité encore trop importante avec sa mère dont il faut rappeler le rôle vitale qu’elle a avec son bébé. L’école et les maîtres comme tiers, ne pouvaient pas rivaliser avec la mère. Une relation encore trop fusionnelle entre l’enfant et sa mère empêchait l’acquisition de son autonomie par l’apprentissage de l’écriture avec ses règles grammaticales et son ordre dans la langue française : sujet, verbe, objet…Rentrer dans un ordre était pour lui difficile, un ordre qui soit différent de celui de sa mère, encore pré-oedipien, sorte de petit paradis, de jardin d’Eden, où la différence entre lui et elle était encore peu marquée, j’allais dire, marquée par la castration.
Qu’est-ce alors que l’écriture sinon le tiers nécessaire à la séparation corps-esprit-mère-enfant ! On parle d’ailleurs d’un corps d’écriture quand il s’agit de définir la taille d’une fonte de caractère. Ex. d’une police de caractère dont le corps est de 10 points. Police : curieux mot d’ailleurs, comme s’il s’agissait là encore de parler d’un ordre dans l’agencement des lettres, un ordre sociétal, puisque par l’écriture, l’enfant gagne aussi sa place dans la société… L’écriture participe alors d’une fonction séparatrice comme est la fonction paternelle, laquelle vient frustrer la mère de son enfant et priver l’enfant de sa mère.
Mais frustration et privation nécessaires qui permettent à l’enfant de s’identifier au père, de rentrer dans l’Œdipe en même temps qu’il entre dans le langage, autre outil pour gagner son autonomie… L’écriture a aussi cette visée. Elle serait du côté du père comme œuvrant aussi à faciliter l’autonomie de l’enfant vis-à-vis de sa mère…C’est pourquoi, l’écriture a gardé jusqu’ici jalousement dans sa forme ces différences entre l’homme et la femme, une sorte de « masculinité » si l’on veut, dans certains de ses signifiants. (Il y a aussi des signifiants propres à la femme : être enceinte et allaiter par exemple mais qui disparaîtront certainement sous le bistouri de la science et du business, pour concerner aussi les hommes. Sur les nouveaux carnets de famille, père et mère ont déjà disparu au profit de parent I et parent II). Mais cette « masculinité » n’est pas une supériorité sexuelle. Il ne faut pas l’effacer de l’écriture traditionnelle au profit de l’usage totalitaire de l’écriture régressive de l’inclusion.
Les dents de la mère !
Si l’écriture inclusive vise à rendre, jusque dans l’orthographe, l’égalité entre l’homme et la femme, son but est alors de réduire à néant ce sur quoi le psychisme s’est en partie construit, à savoir, la différence des sexes, l’Œdipe et la castration. Du coup, elle les exclut. C’est pourquoi, elle entraîne dans son sillage, les féministes, les LGBT et autres « genrés » qui ont un peu plus de mal que tout un chacun avec la castration…Dans son livre adressé aux psychanalystes, le philosophe transgenre Paul B. Preciado[3] critique la ringardise des psychanalystes arc-boutés depuis Freud sur les concepts de différence des sexes et parle même à plusieurs reprises d’un régime patriarco-colonial. La haine du mâle hante son livre. Aussi, la haine du mal blanc n’est sans doute pas loin, bientôt appuyée par les gauchistes, les écolos… L’écriture inclusive défait la formule de Lacan qui écrivait que l’inconscient était structuré comme un langage. Langage érigé en discours, à partir duquel le psychanalyste repère l’inconscient à l’œuvre chez son patient. Si la langue que Lacan écrivait lalangue est du côté de la mère, le langage marque ainsi l’autonomie gagnée par l’enfant à partir de l’Œdipe et de la castration. Il faut alors aller le chercher du côté de la loi du père. Nous pourrions ajouter que l’écriture en tant qu’espace graphique participe aussi de cette autonomie et qu’elle est le pendant du langage. Elle a aussi un rôle tiers comme le langage qui sépare l’enfant de sa mère, un tiers aussi comme le père dans sa fonction frustrante et privative de la jouissance de la mère et de son bébé…
Je ne comprends pas que certaines femmes et hommes dits « progressistes » voudraient effacer toutes ces différences entre l’homme et la femme au nom d’une égalité psychique illusoire, qu’ils veulent imposer jusque dans l’écriture. Face à un enfant qui apprend à lire et à écrire, je redoute par contre que ces « progressistes » ne le fassent régresser jusqu’à une proximité archaïque avec sa mère. Dans le domaine de la pathologie et selon certaines modalités psychiques particulières, les alcooliques, les toxicomanes et les psychotiques les auraient largement devancés. Ainsi, par un tour de passe-passe idéologique qui relève plus d’une sociologie destructrice de ce par quoi l’humanisation procède, que d’une prise en compte du développement psychique des enfants, je crains donc que ces « progressistes », adeptes de l’écriture inclusive, ne les précipitent à nouveau dans les dents de la mère. Et si l’adulte y cède, s’il consent à se soumettre à cette régression-là, nous en paierons certainement le prix dans quelques générations…
Jean-Marc Alcalay
Jean-Marc Alcalay était psychologue clinicien en milieu hospitalier à Dunkerque, formé à la psychanalyse jusqu’à sa retraite il y a un an et demi. et écrivain, auteur notamment de Marguerite Duras la juive (aux éditions Elkana, 2012). Il continue à animer un séminaire de psychanalyse avec des collègues, à la clinique où il travaillait et à mener un enseignement sur la théorie lacanienne à l’hôpital psychiatrique dont la clinique où il exerçait dépend.
[1] La Bible, Ancient testament, Gallimard, Pléiade, 1956, tome I, pp. 9-11.
[2] Jean Bergès, Le corps dans la neurologie et la psychanalyse, Erès, 2005.
[3] Paul B. Preciado, Je suis un monstre qui vous parle, rapport pour une académie de psychanalystes, Grasset, 2020, p. 84.
Le sexisme veut opposer l’homme à la femme sous couvert d’égalité. Il y a un premier problème de sens, celui de la confusion entre la différence qui s’oppose à l’égalité, et de la supériorité qui ne s’oppose pas à l’égalité mais à l’infériorité.
Le second problème est également lié à la confusion des genres. La grammaire n’a pas de sexe. Le masculin et le féminin ne sont pas l’homme et la femme. Le procès fait par les partisans de l’écriture inclusive utilise la formule que “le masculin l’emporte sur le féminin”. La formule leur est insupportable.
Le français est une langue latine qui a abandonné le neutre latin. Il fallait que le neutre soit masculin ou féminin au pluriel. Cela n’a rien à voir avec la virilité de LA grammaire.
Enfin, le français écrit a vocation à être parlé ou au moins lu. L’écriture inclusive est abandonnée, par ses pratiquants au bout de quelques paragraphes parce que c’est illisible.
Moralité, cette écriture est un sens unique. Elle ne se partage pas. Elle est une forme dictatoriale du discours, une expression idéologique. Est-ce surprenant?