Antiracistes, décoloniaux : les collectifs qui squattent le Petit Cambodge à Paris

Publié par


SOCIÉTÉ
LOGEMENT

Antiracistes, décoloniaux : qui sont les collectifs qui squattent le Petit Cambodge à Paris ?
L’un des restaurants du Petit Cambodge a été frappé par les attentats du 13 novembre 2015.
© Karine Pierre / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Antiracistes, décoloniaux : qui sont les collectifs qui squattent le Petit Cambodge à Paris ?

Polémique

Par Hadrien Brachet

Publié le 28/12/2020 à 19:19

L’occupation d’un local d’un restaurant parisien touché par les attentats du 13 novembre suscite l’émoi. Marianne s’est penché sur les associations à l’origine de cette action.

Le slogan, placardé en lettres capitales sur la devanture, a le mérite d’être clair. « Ce local est squatté pour lutter contre la gentrification » peut-on lire sur la façade d’un local du restaurant Le Petit Cambodge situé rue Jean et Marie Moinon dans le 10e arrondissement parisien. Malgré la dimension symbolique du lieu – l’un des restaurants du Petit Cambodge ayant été frappé par les attentats du 13 novembre – les collectifs à l’origine de l’occupation persistent. Loin de se limiter au combat pour le mal logement, ces groupes défendent un projet sociétal mêlant anticapitalisme et thèses décoloniales.

LUTTE CONTRE LA GENTRIFICATION

Déjà propriétaires de deux autres restaurants dans le quartier, les gérants du Petit Cambodge espéraient ouvrir en janvier leur nouvelle enseigne rue Moinon. Après les attentats du 13 novembre qui avaient touché leur terrasse rue Alibert, les restaurateurs attendaient des jours meilleurs. Mais des militants en ont décidé autrement. « Nous résistons pour ne pas voir un quartier aseptisé par la gentrification » écrivent-ils dans un communiqué. « Les habitant.es du quartier de la place Sainte Marthe n’ont pas besoin d’un énième restaurant, d’un énième lieu marchand hors de ses moyens tenu par des propriétaires venant des quartiers les plus aisés » ajoutent-ils, déplorant que le local, propriété de la SIEMP, bailleur social pour la ville de Paris, soit resté fermé depuis son attribution au Petit Cambodge au lendemain des attentats de novembre 2015. L’espace était en travaux assure Maître Eric Bernard, avocat du Petit Cambodge. « Cela prend du temps » explique-t-il à Marianne, rappelant que l’on peut comprendre que les attentats soient « déboussolants ».

Ce que peinent visiblement à admettre les squatters, préférant affirmer dans leur communiqué que « les attentats ont visé, non pas l’activité du Petit Cambodge en tant que restaurateur, mais nos vies ». Quitte même à accuser le restaurant d’instrumentalisation : « Nous ne comptons pas donner raison, ni aux commanditaires de ces attentats, ni à celleux qui les instrumentalisent jusqu’à aujourd’hui à des fins de profits. » Le tout en qualifiant les attentats d’« aussi dramatiques qu’exceptionnels ». Une exception qui a tout de même tué plus de 260 personnes depuis janvier 2015 et frappé la France à trois reprises depuis septembre.

Outre le fait que ce n’est « pas le moment pour compliquer la vie des restaurants » Alexandra Cordebard, Maire du 10ème arrondissement, dénonce une occupation « choquante » sur le plan symbolique. « Je ne sais pas quel était le degré de lucidité des occupants lorsqu’ils ont pénétré dans le local mais lorsqu’ils ont su qu’il s’agissait du Petit Cambodge, ils auraient pu partir sur la pointe des pieds »

« L’occupation a choqué dans le quartier » se désole-t-elle, s’assurant « impuissante légalement ». L’affaire est désormais aux mains de la justice, une audience doit se tenir le 29 décembre au tribunal de Paris après un premier renvoi.

DES SQUATTEURS DIFFICILES À IDENTIFIER

Sauf que pour poursuivre les squatters, il faut les identifier. Une tâche pas évidente à en croire Maître Bernard : « ils se cachent ». L’assignation à comparaître au Tribunal pour la première audience du 18 décembre, que Marianne s’est procuré, vise un seul homme, Jonathan N. L’avocat indique également avoir reçu les statuts d’une association, « Le H Sainte Marthe » qui se serait domiciliée au 1, rue Jean et Marie Moinon, l’adresse du local. Marianne n’a pas trouvé à ce jour traces de cette association. L’assignation au Tribunal assure que l’huissier qui s’est rendu sur place a constaté « la présence d’un présentoir mobile sur pied, sur lequel sont présentés diverses brochures, livrets et tracts comme par exemple : (…) “Anarchie, lutte contre les systèmes d’oppression” (…) “Économie politique du patriarcat” (…) “Le sabotage, le grain de sable dans les rouages de la machine, l’opposition directe, physique, matérielle à une partie du dispositif” ». Jonathan N. lui aurait bien signifié que les militants allaient faire « comme un centre autogéré, avec une association ». Du côté de la Mairie, Alexandra Cordebard assure ne pas avoir été contactée par des associations ou des militants au sujet de cette occupation.

Certains groupes militants ont néanmoins publiquement affiché leur participation à cette action. « En plus d’un ensemble d’individus isolé.e.s qui se retrouvent dans ces locaux, nous sommes plusieurs collectifs à nous organiser ici, dont entre autre Youth For Climate Paris, Décolonisons le Féminisme,… » peut-on lire au bas de l’un des communiqués.

YOUTH FOR CLIMATE

Parmi ces structures, Youth For Climate naît début 2019 dans le sillage des appels à la grève pour le climat de Greta Thunberg. Il s’agit « d’un mouvement de jeunes qui se mobilisent pour la justice climatique et sociale, la protection de l’environnement et de la biodiversité » peut-on lire sur leur site. Quatre lycéens membres du mouvement ont même été reçus à l’assemblée nationale en 2019 aux côtés de Greta Thunberg. En dehors des ors du Palais Bourbon ou des grèves pour le climat, les militants de Youth for Climate se sont déjà illustrés par plusieurs actions coup de poing. En février 2020, des militants avaient envahi le siège du gestionnaire d’actifs BlackRock pour protester contre la réforme des retraites. Le 26 septembre Youth for Climate Paris avait occupé la place Sainte-Marthe dans le 10ème arrondissement, y installant un « camp climat », précisant déjà dans un communiqué partagé sur Twitter que l’implantation dans ce quartier était « directement liée à son passé, centrée sur les luttes contre les spéculations immobilières, la gentrification et la privatisation de l’espace ».

Loin de se cantonner aux revendications environnementales et anticapitalistes, le mouvement se tient régulièrement aux côtés de la mouvance décoloniale, constituée d’un ensemble de thèses et de structures militantes assurant que la colonisation continuerait de structurer de manière systémique les inégalités en France et dans le monde occidental. Youth for Climate Paris a par exemple défilé en juin dernier contre les violences policières aux côtés du Comité Adama. L’association écologiste n’a pas non plus hésité à reprendre sur son fil Twitter, sans autres commentaires, une vidéo de manifestants criant « La police assassine et tout le monde la déteste. ». « Nous soutenons, adoptons les valeurs, et tâchons d’être allié es des luttes féministes, antiracistes, décoloniales, antivalidistes, antixénophobes, LGBTQIA+, et contre toutes les autres formes de discrimination. » justifie Climate Youth France sur son site.

LA COORDINATION ACTION AUTONOME NOIRE

Parmi les autres structures participant à l’occupation du local du Petit Cambodge : la Coordination Action Autonome Noire (C.A.A.N). Son nom figurait sur le communiqué revendiquant l’occupation mais a été retiré sans explications. Ce collectif, fondé sur une approche communautaire, vise à défendre les droits des communautés noires. « La Coordination Action Autonome Noire se veut un mouvement collaboratif dans lequel nous construirons l’organisation politique indispensable à notre libération tout en étant centré sur nos préoccupations quotidiennes » peut-on lire sur leur site. Le mouvement se bat sur plusieurs fronts : la lutte contre les discriminations à l’emploi, la santé, plaidant pour une « santé communautaire », l’éducation, en proposant « de s’appuyer sur un réseau de personnes noires travaillant au sein de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur » pour « organiser un soutien scolaire spécifique aux enfants, adolescent.e.s et étudiant.e.s noir.e.s » ou encore la lutte contre la gentrification. En juin la C.A.A.N proposait de lister les rues, places ou de monuments portant le nom d’un esclavagiste.

​La C.C.A.N. affirme également se battre pour la régularisation des sans-papiers. Pourtant, Le Petit Cambodge assure lui-même aider à la régularisation de sans-papiers souhaitant travailler. L’assignation à comparaître devant le Tribunal mentionne notamment le cas d’un individu, régularisé il y a un an.

Par Hadrien Brachet

Youth for Climate et la Coordination Action Autonome Noire n’ont, à la publication de cet article, pas répondu aux sollicitations de Marianne.

https://www.marianne.net/societe/logement/antiracistes-decoloniaux-qui-sont-les-collectifs-qui-squattent-le-petit-cambodge-a-paris

Laisser un commentaire